Interview : « Banques centrales, faites-vous de la politique ? »

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 Interview : « Banques centrales, faites-vous de la politique ? »

Les marchés ont eu la permission d’interviewer Jay Powell, le Président de la Banque centrale américaine, avec Christine Lagarde, la Présidente de la Banque centrale européenne, sans précautions diplomatiques.

Les Marchés : Merci de nous recevoir pour répondre à nos questions… intéressées. Président Powell, serez-vous indépendant du Président Trump ? Comment allez-vous réagir quand il vous critiquera pour n’avoir pas baissé vos taux d’intérêt cette semaine et de le faire vite ?

Jay Powell : D’abord, ce ne sont pas « mes taux », mais ceux de tous les Américains, pour qu’ils vivent mieux dans la durée. Ensuite, pour les remarques du Président Trump, j’y suis habitué. Je réponds toujours que, de par la loi, la Fed, Banque fédérale américaine, est indépendante. Je suis Président du Conseil des gouverneurs jusqu’au 23 mai 2026, et ne me fais pas d’illusion sur une seconde prolongation ! Bien sûr, je puis rester au Board jusqu’en janvier 2028 mais, honnêtement, devenir « ancien Président » à 73 ans en 2026 ne m’amuse guère. Surtout, ce ne seront ni la loi, ni le Congrès, qui me protègent, mais vous, les marchés de taux à court terme, à 10 ans et surtout à 30. Pourquoi 30 ans ? Parce qu’ils sont hors d’atteinte des politiques actuels et même des prochains !

Christine Lagarde : Jay a deux objectifs, inflation et emploi, le moins de la première avec le plus du second. Débattre d’un tel dosage, c’est faire ouvertement plus de politique qu’à la BCE. Nous n’avons ici qu’un seul objectif : la stabilité des prix à moyen terme, vers 2%. Bien plus tranquilles !

Les Marchés : Mais vous, Christine, vous avez été nommée le 1er novembre 2019 pour huit ans, mandat non renouvelable. Encore 35 mois, sans Merkel et presque sans Macron, avec des résultats contrastés par rapport à votre cible unique. Vous avez 2,3% d’inflation en Allemagne, 1,3% en Italie et 1,4%  en France. En face, les taux longs réels y sont quasi-nuls, mais de 2,2% pour Italie et 1,8% pour la France, empêtrés dans la dette. Vous aidez les meilleurs !

ChL : Oui, il faut payer pour ses faiblesses. Une politique monétaire marche dans une économie flexible, avec des marchés financiers puissants qui la secondent. Mais, en zone euro, nous avons 20 économies différentes, assez peu flexibles et très bancarisées, en pleines tourmentes technologiques et politiques, plus la géopolitique ! Quand même, la BCE est crédible et nos choix fonctionnent !

JP : Il ne faut pas rêver : une politique monétaire est une politique, dont l’objectif est de polariser vers une cible de prix, pour lisser les instabilités de vues et aider à des décisions aussi rationnelles que possible pour investir, embaucher, piloter salaires et profits. C’est à partir de ce calme que vous pouvez fonctionner.

Les Marchés : Oui, alors nous pouvons nous agiter !

JP : Oui, il est bon que les marchés interrogent les prévisions et les choix macroéconomiques, comme de secouer entreprises, ménages et conseillers financiers pour obtenir de tous l’efficacité maximale. C’est une « bonne instabilité ».

ChL : En fait, c’est grâce à nous que vous êtes possibles ! Nous donnons des perspectives, expliquons nos raisonnements et cheminements, mais jamais en étant trop précis.

Les Marchés : Vous le faisiez du temps de la forward guidance !

JP : Oui et nous avons cessé car c’était trop facile pour vous ! Nous disons désormais que nous jugerons sur pièce, à chaque réunion, en fonction de tout : données économiques, marchés, enquêtes, sondages, prévisions et dernières recherches. Pas de « politique » : nous créons un certain brouillard  pour vous, mais par rapport à nos visions.

ChL : Enfin… autant que possible !

Les Marchés : Alors, banques centrales, faites-vous de la politique ?

JP : Oui, la politique de la politique. Nous expliquons, commentons en fonction de ce que nous voulons. Nous encadrons, sans trop nous impliquer.

ChL : Oui, nous ne sommes ni dedans, ni à côté, moins encore au-dessus, mais plutôt devant, pour baliser le chemin, mais avec des bandes si je puis dire, et des limites : pas plus de 7 à 8% d’inflation, pas moins de 0,5%. Ce faisant, nous protégeons le pouvoir d’achat de la monnaie et la sécurité des banques.

Les Marchés : Et contre les bulles high-tech, la Russie, la Chine, les bouleversements climatiques ?

JP : Pareil, on parle, on prévient et surveille les banques et la finance avant de tirer.

Les Marchés :  Donc vous faites de la politique !

JP & ChL : Si vous n’obéissez pas !