Londres : là où les « Socialistes » ont le pouvoir

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 Londres : là où les « Socialistes » ont le pouvoir

Sir Keir Starmer est le nouveau Premier ministre britannique. Il a été largement élu le 5 juillet avec 412 sièges sur 650 : les Conservateurs en ont perdu 250, pour se retrouver à 121. Il vient de faire sa première grande allocution. Ce n’est pas exactement celle d’un socialiste français. Il commence par insister sur la gravité de la situation : on dira que c’est l’habitude de charger la barque des prédécesseurs, mais « il y va fort ». Les problèmes du système public de santé arrivent très vite, mais il ajoute aussitôt le coût de leur réparation. Puis il revient sur les émeutes anti-immigrés qui ont secoué le pays, demandant des sanctions plus lourdes et plus rapides, avec incarcération des fauteurs.

Il « découvre » alors que les prisons sont pleines, donc qu’il doit libérer des prisonniers pour faire place aux nouveaux condamnés, lui, l’ancien procureur général du Royaume ! Donc il faut en construire d’autres, ce qui prendra du temps et… de l’argent. Il en faudra aussi pour réajuster les salaires et revoir les règles des relations sociales, pas assez protectrices des salariés selon lui : plus cher, mais normal pour un travailliste qui atterrit en ce terrain si libéral. Puis il ajoute qu’il faut revoir les infrastructures (dé)laissées par ses prédécesseurs, pour que les trains partent et arrivent à l’heure, ce qui permettra « à la richesse de croître, donc plus de croissance à répartir ». Et, pour tout cela, depuis les maisons aux égouts, plus la santé et les bas salaires, il faut de l’argent. Et c’est alors que Keir Starmer « découvre » le trou (supplémentaire) de 20 milliards £ du budget. Un trou qui avait échappé à l’OBR, Office for Budget Responsability, en charge des analyses, prévisions et jugements sur la politique du gouvernement. Ceci sans compter un emprunt de 5 milliards fait à son insu. Tout sera plus dur à tenir et corriger.

Le premier discours du Premier ministre (britannique) annonce donc des temps difficiles, avant une amélioration à attendre, mais plus tard, avec des impôts à la clef. Ce n’est pas le Keynes « inventeur » de ce qu’on nomme en France « l’économie de la demande », pour la lui attribuer. Nous sommes dans « l’économie de l’offre » jugée, ici, « de droite ». Keir Starmer la reprend, lui, à son compte, puisque le titre de son discours s’intitule fix the foundations. Ce qui peut, ici aussi, surprendre est l’obsession des dépenses à faire, avec chiffres, ce qui conduit au déficit à financer… par une dette… qui l’inquiète.

Cette préoccupation nous surprend mais s’explique. Le système social anglais repose sur la finance, qui dépend de la dette, dette qui finance l’État, les banques, les entreprises, le logement et surtout les retraites. C’est là l’essentiel. Pas de répartition : de la capitalisation. L’OBR anglais est ainsi une Cour des Comptes française prise au sérieux. Rien à voir avec notre Haut Conseil des finances publiques qui juge en quelques pages, avec beaucoup de précautions, les prévisions économiques et le cadrage budgétaire qu’on lui passe in extremis. Lisons son Avis d’avril 2024 : « le déficit structurel est désormais très éloigné de l’objectif de moyen terme (OMT) que s’est donné la France dans la loi de programmation 2023-2027, soit un déficit structurel inférieur à 0,4 point de PIB potentiel, dont le respect est repoussé à un horizon lointain ». Rien n’est sérieux, ce qui ne l’empêchera pas d’être voté.

D’où vient ce souci budgétaire des Travaillistes anglais par rapport aux Conservateurs et aux élus français ? Du récent souvenir de la catastrophe Liz Truss, Première ministre entre le 6 septembre et le 25 octobre 2022, record de brièveté dans le poste. Elle propose, sans avertir l’OBR, 45 milliards de baisses d’impôts sur les plus aisés, financés par emprunt extérieur, plus une coupe des contributions à la Sécurité sociale ! La bronca est telle, politique et financière, que la Banque d’Angleterre doit intervenir pour calmer l’explosion des taux longs qui menace les caisses de retraite. C’est la fin des Trussonomics : trois jours. On n’échappe pas aux marchés de taux à long terme. Keir Starmer, après 14 ans des socialistes dans l’opposition, le sait.

Donc Cazeneuve, ce « social-démocrate sachant compter » ne sera pas nommé Premier ministre par Emmanuel Macron. Trop quasi-socialiste anglais ! Ses anciens amis n’en veulent pas, pour manque de soumission. Alors Barnier, pour gérer, après le Brexit, cette nouvelle « cohabitation exigeante » ?