Trump entre Ricardo et Rueff, au piège du dollar

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 Trump entre Ricardo et Rueff, au piège du dollar

Trump voudrait un dollar faible et des échanges équilibrés

Il ne le dit pas trop, mais il voudrait un dollar plus faible, afin de vendre plus. Si on lui rétorque qu’alors il importera de l’inflation, que les sociétés américaines auront plus de difficultés à acheter des concurrents ou des startups, devenant même des cibles, ou que vendre des bons du trésor dans une monnaie fondante sera compliqué, il passe à un autre sujet. Pourtant, répéter MAGA, attirer les capitaux et les talents, suppose un dollar fort.

 

Ricardo lui montre pourtant ce qui l’attend

Donald Trump ne connaît pas David Ricardo, dommage. Ricardo démontre, en 1817, qu’entre Portugal et Royaume-Uni, le premier a intérêt à se spécialiser dans l’agriculture et le second dans l’industrie (il parle de « quincaillerie »). C’est un bon choix pour les deux : l’un sera le pays du blé, l’autre des machines. Tout ceci est vrai, aussi longtemps que les gains de productivité sont comparables entre eux et surtout que la paix règne.

 

Entre Chine et Etats-Unis, cette logique a fonctionné un temps

Puis la première devient l’atelier de tous, les seconds les champions des services. Chacun continue sur sa lancée, y trouvant, un temps, son compte. Mais la porosité n’est pas la même entre agriculture et industrie qu’entre industrie et services. Les services américains sont là pour mieux faire fonctionner la machine (installée en Chine) : les voilà dépendants, d’autant que les Chinois la copient, puis l’améliorent. La tension monte entre les deux pays : les sanctions viennent. Ce n’est plus la paix, mais la guerre fiscale… avant l’autre ? Ricardo avait raison pour le Portugal, mais il s’agit aujourd’hui de la Chine : l’escudo n’est pas le yuan, l’échelle fait la différence !

 

Rueff montre les dangers de la « monnaie forte »

Jacques Rueff, Cassandre de son temps dont Trump n’a pas non plus entendu parler, est un gouverneur de la Banque de France, qu’on va redécouvrir. Il avait vu venir ce qu’il adviendrait à une monnaie devenue internationale : c’est le dollar, quand le lien fixe entre dollar et or disparaît.

Auparavant, ce pays déficitaire, les États-Unis, devait payer le pays excédentaire, la Chine, en or à 35$ l’once, prix convenu à Bretton Woods. Vite, devant ce risque de sortie du métal, les États-Unis devaient ralentir, réduisant leur déficit. Ils n’aiment pas… et la Chine est trop heureuse d’accepter des dollars, avec lesquels elle achète des bons du trésor. Le déficit devient prêt, le mécanisme s’emballe : toujours plus de déficit et de bons du trésor face à un stock d’or qui ne bouge pas.

La France, puis l’Allemagne, réclament alors la conversion de leurs dollars, déclenchant un scandale. Le déséquilibre est tel que, le 15 août 1971, Richard Nixon déclare l’inconvertibilité du dollar en or entre banques centrales : au taux fixe de 35$ l’once depuis 1945, il était intenable. L’once saute à 200$ en 1974, elle est à 3300$ aujourd’hui.

Jacques Rueff décrit ce qui arrive à une devise réputée sans risque, parce qu’internationale. Le déficit des échanges américains fait que les pays qui reçoivent des dollars achètent des bons du trésor américain. Il ne peut que croître : c’est le « déficit sans pleurs » de Jacques Rueff, ce que Valéry Giscard d’Estaing reprendra sous « le privilège exorbitant du dollar ».

 

Ce qui n’a cessé de se développer depuis

Avec une montée de la dette publique américaine, qui atteint 123% du PIB, PIB le plus élevé du monde. Rien n’y a fait : difficultés du Sénat à voter le budget, fermetures de certains services publics, menaces de faillite. Jusqu’à présent, où le Président s’attaque au déficit extérieur, attribué aux… « vols » des exportateurs et non au « privilège du dollar », en taxant tout le monde, notamment la Chine. Jusqu’à présent aussi, où Elon Musk coupe les dépenses à la tronçonneuse, et surtout où le Président Trump trouve le dollar trop cher !

 

Trump, entre Ricardo et Rueff

Attention aux échos des commentaires de Trump : après un rendement de 4% pour le bond à 10 ans le 4 avril, il passe à 4,4% le 23, et l’euro vaut 1,15 dollar, contre 1,02 en début d’année : + 12,7% !

Ricardo a raison, et la Chine a poussé sa logique monopolistique à l’excès. Rueff a raison, et le recyclage des déficits a ses limites : pas de pleurs, la peur du dollar.

Trump joue un jeu dangereux : il devrait, avec la Chine, muscler l’OMC, plus d’épargne chez lui et de consommation chez elle. Powell ne devrait plus être viré, attendons la suite.