Maman, j’ai cassé mon portable et je t’écris depuis celui d’une amie, peux-tu m’appeler à ce numéro ?
Voici, imaginatif, un message que vous pouvez avoir reçu. Ou alors ce sera l’annonce qu’un colis vous attend en douane, bloqué par une provision insuffisante qu’il vous faut compléter. A moins qu’il ne vous faille téléphoner pour revoir votre assurance ou votre mutuelle, donc e-mailer pour donner votre numéro de téléphone. Sauf si on vous demande de payer 135 euros d’amende, ou moins : 90 dans les 15 jours. Sauf si l’on vous prévient de la suspension (temporaire) de vos droits au remboursement de la Sécu. Ou encore, depuis une source espagnole et dans cette langue, pour vous aider à trouver un financement et résoudre vos embarras de trésorerie. Ne le prenons pas mal, mais recevoir, vous et moi, un tel message, automatique, est la preuve de la faiblesse de nos avoirs.
Voilà qui diffère d’un courriel sur la mort de Depardieu, qui vous invite à répondre pour en savoir plus. Vous le faites et votre ordinateur s’éteint et vous êtes joint, par téléphone, pour vous sortir d’embarras. Mieux encore, ce que nous lisons dans la presse, avec des appels d’une autre envergure. Ils requièrent une vraie préparation, un investissement. Vous serez appelé(e), vers 19 heures, par quelqu’un qui se présente comme un employé de votre banque, mais dans un service particulier. Il y est chargé de la détection d’opérations suspectes. Or, il se trouve que votre compte a vu une opération de 700 euros, depuis vos avoirs vers… le Salvador. La somme est modeste, mais l’intrigue. Il vous propose de l’annuler tout de suite. Ne consultez pas votre ordinateur maintenant, car ceci empêcherait la manipulation qu’il va faire, sachant qu’il vous demande de le recontacter immédiatement après, au numéro qu’il vous donne. Vous allez alors sur votre compte et ne trouvez pas trace du transfert salvadorien : il vient d’être effacé… En confiance, vous allez donc téléphoner à « l’expert » de « votre » banque.
Quels progrès chez ceux qui veulent vous prendre quelque argent ! Il ne s’agit plus d’escalader les murs, de casser un carreau, de crocheter une serrure, voire de hacker le home d’un ou d’une riche et célèbre personnalité. Nous ne sommes plus dans l’agilité ou l’habileté, moins encore dans la violence, mais dans une combinaison entre nouvelle technologie : exploiter les failles des protections bancaires, et très vieille psychologie : endormir la défiance.
Regrets quand même : nous ne recevons plus ces mots pathétiques où l’on nous parlait d’un vieux parent (souvent ancien responsable africain) qui avait laissé une très forte somme en billets (on ne sait jamais) dans le coffre d’une banque suisse. Il suffisait de s’y rendre pour la sortir et recevoir une part du magot, en juste rémunération. Sans doute fallait-il contacter, avant, l’émetteur du message et l’aider à couvrir les frais de l’opération. On trouvait quelques fautes d’orthographe pour authentifier la missive mais, apparemment, elles ne suffirent pas à rentabiliser l’idée : cette technique a disparu. Normal : par appels ou courriels, nous devenons plus faciles à contacter. Les informations et photographies que nous émettons nous font mieux connaître de ceux qui veulent partager notre épargne.
Que faire alors ? Couper tous les contacts, ne plus participer à aucun réseau pour s’en aller « au désert » y rencontrer le Misanthrope ? Ou bien être plus sélectifs, se désabonner des messages que nous recevons chaque jour sans n’avoir rien demandé, ne pas ouvrir la porte sans vérifier qui sonne ?
Actuellement, tous les appels sont devenus urgents. Il nous faut répondre aux propositions de rabais, pour en profiter. Après, ce sera trop tard. C’est bien pourquoi nous avons tendance à aller trop vite, à nous laisser emporter par nos passions, à lire le titre de l’article plus que son contenu, d’autant que l’on nous annonce le nombre de minutes que ceci nous prendra. Trop long !
Sélectionner les appels « urgents » ? Facile : il faut prendre le temps et tout lire. Il faut surtout s’avouer que si l’on s’intéresse autant à nous, c’est peut-être plus lié à nos valeurs (monétaires) qu’à la nôtre : un peu d’humilité ou, à défaut, de réalisme ! La confiance n’exclut pas la vérification : le conseil est vieux, mais la ruse progresse. Promis, nous avons bien compris le message.
Dring, Dring
Je vous coupe : c’est un trader qui me rappelle depuis une banque privée au Luxembourg pour me conseiller !