Chaque jour, le Moyen-Orient est victime de drames qui tuent, blessent ou affament des milliers de personnes, adultes, enfants. Il est pris dans l’engrenage entre deux stratégies. Pour les comprendre, il faut les disséquer car leur interaction est décisive, avec ses risques majeurs. L’approche parait froide, mais n’est pas inhumaine, si l’on veut répondre à la seule question qui vaille : comment en sortir, au mieux et pour tous ?
Stratégie I : provoquer l’ennemi
L’idée est de l’attaquer avec suffisamment de violence pour qu’il soit forcé à une riposte plus dure encore, sans que l’initiateur de l’attaque ne se soucie d’arrêter ce qu’il a mis en branle, au contraire. Infliger un dommage massif à l’ennemi est ce qui l’anime, quitte à périr lui-même, quand il réagira. Martyr, son message entrera alors dans l’histoire. Il veut déclencher une réaction en chaîne qui, si elle réussit, en suscitera d’autres, sur place, ailleurs, ensuite, jusqu’à ce que sa cause gagne.
Cette logique débute le 7 octobre 2023, quand le Hamas attaque des kibboutz aux abords de Gaza et massacre des jeunes qui assistent à une rave party, en enlevant partout des otages. Ceci ne peut évidemment rester impuni : Israël envahit Gaza, tente de démanteler les réseaux du Hamas, en tue des chefs. Depuis, on ne compte plus les dommages humains et matériels qui ont suivi, avec critiques et mises en accusation venant des deux parties. Mais ce qui était recherché par le Hamas réussit : les affrontements impliquent le Hezbollah, puis l’Iran. A chaque fois ils montent d’un cran, impliquant des belligérants plus puissants. Israël est ainsi attiré dans Gaza, qu’il détruit largement, puis au Liban, qu’il bombarde en partie. Nous en sommes à la fin de cette Stratégie I : le Hamas veut mener Israël à une attaque massive contre l’Iran, attaque qui deviendrait régionale. Israël a compris – l’Iran aussi – et s’en tient encore à la stratégie II, que voici.
Stratégie II : riposter, attaquer donc
Mais seulement d’une manière « aussi violente » que celle qui la motive, sans plus. Cette stratégie du « tac au tac » (tit for tat en anglais) se veut, en théorie, graduée. Elle entend éviter que les choses ne s’enveniment, avec l’espoir qu’elles se stabilisent, puis diminuent d’intensité, pour gagner (lequel ?), un peu (quoi ?), en attendant (longtemps ?). C’est pourquoi Israël, sous influence américaine, ajoute à chacune de ses ripostes qu’il a seulement réagi, mais sans plus, s’étant autolimité, pour réduire la tension. Mais l’Iran répond qu’il se réserve le droit de répliquer, plus fortement. Nous n’allons donc pas vers l’apaisement ! Cependant, chaque salve obéit à des lignes rouges : interdit de frapper les zones urbaines (ou alors il faut prévenir pour faire évacuer les cibles précises), mais pas toujours, pas celles où se stocke le pétrole (pour éviter un choc inflationniste et récessif mondial) ni celles où se font les bombes atomiques (pour d’évidentes raisons de contamination et de représailles).
Deux stratégies à l’œuvre depuis des mois
A l’œuvre, avec leurs nombres de victimes et de missiles. Mais elles sont de plus en plus interdépendantes, ce qui peut rendre explosif le processus. La stratégie I est celle du faible (absolu) au fort, où il a peu à perdre : Hamas puis Hezbollah par rapport à Israël. La stratégie II est celle de puissances voisines, où le faible (relatif) essaie de se renforcer : Iran par rapport à Israël. La première est déséquilibrante au service du « faible » relatif qui joue la stratégie II. On ignore l’issue de ce double jeu, sauf que le « fort » de la stratégie I doit tout faire pour éviter que la stratégie II ne déraille. Il doit donc gagner au plus vite et refuser de longs couvre-feux. Mais les signaux d’apaisement tardent du côté de l’Iran, faisant douter de cette volonté. Ceci a été pensé par le Hamas : il n’a rien, ou bien moins, à perdre. C’est la définition du terrorisme.
Ceci ne se passe pas dans le seul Moyen-Orient
S’étend face aux Etats-Unis et à l’Europe, pris dans leurs élections. L’Iran fournit des armes à la Russie, contre expertise nucléaire, et du pétrole à la Chine, contre yuans. Nous voilà au CRINK : Chine, Russie, Iran, North Korea, ou chez les BRICS+ (Brésil, Russie, Inde, Chine, South Africa), avec « + » pour Émirats arabes unis, Éthiopie, Égypte et… Iran.
La réaction en chaîne se mondialise. Comment la freiner ? Qui gagnera quoi à la fin, s’il y en a une ?