Vers un hiver 2022/2023 pire que la grande crise financière de 2008 ?

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Inflation, crise énergétique, changements de politique monétaire, effondrement de l'anticipation des ménages ... Suite à la pandémie de Covid-19 et plus récemment à la guerre en Ukraine, la conjoncture économique a rarement été aussi inquiétante

Vers un hiver 2022/2023 pire que la grande crise financière de 2008 ?

Atlantico : Que cela soit la crise énergétique, l’inflation, les changements de politique monétaires ou l’effondrement des anticipations des ménages, à quel point y a-t-il actuellement une conjonction de phénomènes délétères pour l’économie ?

Jean-Paul Betbeze : Un vol de Cygnes noirs : nous sommes au cœur d’une polycrise, la rencontre d’événements individuellement graves, mais plus encore très rares. La guerre d’Ukraine est évidemment la plus dangereuse des crises actuelles, introduisant une rupture totale dans nos anticipations à long terme. C’en est fini des « dividendes de la paix » et du « multilatéralisme » : il va falloir, dépenser plus pour s’armer plus, et faire en sorte d’être du côté des plus forts (Etats-Unis et Otan bien sûr). Le prix du risque a partout augmenté, notamment en Europe, et ce n’est pas fini. Ainsi, le rendement du bon du trésor allemand à 10 ans, est-il passé de -0,2% il y a un an, à 1,6%  actuellement. Et comme l’inflation s’inscrit aujourd’hui à 7,9% contre 2,3% dans ce pays, on peut penser que cette hausse n’est pas finie. En sommes-nous conscients en France ?

Cette guerre a fait sauter tous les compteurs. Elle est une guerre du gaz, dont le prix explose d’autant plus que l’Allemagne est très dépendante du gaz russe, sans substitution aisée. Elle est aussi une rupture des chaînes de valeur internationales, qui allaient de la Chine vers l’Europe et qui étaient autant efficaces que désinflationnistes. Cette guerre met en évidence nos lacunes, pour les masques et surtout les puces, faisant s’arrêter ou freiner des chaînes de production.

Moins de croissance et plus d’inflation : le spectre de la stagflation arrive, qui ne peut se gérer que par les Banques Centrales et les hausses des taux d’intérêt. Si, en Europe, cette hausse des taux fait évidemment ralentir l’inflation, elle pèse aussi sur la croissance qui est d’ores et déjà faible du fait d’une autre catastrophe, le Covid, qui a non seulement perturbé les systèmes de production, notamment dans l’industrie, mais également fait chuter les services qui se relèvent avec des hausses de salaires, donc de l’inflation.

Au total, l’ensemble de ces Cygnes noirs conduit à peser sur la croissance économique à moyen et long terme, au-delà des interruptions d’activité et des inquiétudes actuelles. Il met en avant nos dépendances et nos faiblesses que la réduction des dépenses, notamment en matière militaire et la recherche des gains de sous-traitance, en allant vers le moins disant, nous ont  conduits à faire, sans en être conscients. Aujourd’hui, tout ceci nous revient : l’inflation est le premier signe de notre réveil.

Nous dirigeons-nous vers un hiver 2022/2023 pire que la grande crise financière de 2008 ? Les situations sont-elles comparables par leur ampleur ?

Jean-Paul Betbeze : Bien sûr, la crise de 2007/2008, celle des subprimes, était une crise essentiellement financière, d’origine américaine, qui avait soutenu la croissance par le financement aisé du logement. En 2008, cette bulle du crédit explose et a des répercussions en Europe surtout, mais aussi dans les pays émergents. Elle se résout par le fameux Quantitative Easing dont la FED organise actuellement la sortie : Il aura fallu 14 ans ! Et ceci nous pose aujourd’hui, en Europe, plus que quelques problèmes. En effet, l’Europe n’a pas encore retrouvé son niveau d’activité d’avant crise Covid, à la différence de la Chine bien sûr et même des Etats-Unis. Lutter contre l’inflation en zone euro pour des raisons d’inflation importée (par les prix du gaz, du pétrole et des produits alimentaires), alors même que les déficits budgétaires ne sont pas réglés, est prendre un grand risque.

 

Le risque de récession est-il bien réel ? Quelles pourraient être les conséquences au niveau mondial ou pour les ménages, dont le moral est en forte baisse en France comme en Allemagne ?

Jean-Paul Betbeze : Le risque de récession est bien réel. Agiter ce spectre pour demander aux Banques Centrales de monter peu leurs taux d’intérêts ou, dans le cadre de la Banque Européenne, de fabriquer un bazooka pour acheter des bons du Trésor italien, est insuffisant. Comme l’est  de souhaiter que les déficits budgétaires augmentent sans problème. Tout ceci est un ensemble de mauvaises raisons pour expliquer la dépendance dans laquelle nous sommes. Nous en sortirons en développant, en Europe notamment, des structures plus solides et résilientes, avec des liens plus forts avec les Etats-Unis et l’Afrique. Si l’on veut s’associer à l’Afrique, en particulier, il faudra revoir les règles de production et de qualité qui forment notre Marché solide et sûr sans doute, cher et protecteur aussi. Sans qu’on le dise, le Marché Unique est aussi protectionniste : si on veut s’associer avec des pays moins développés il faudra revoir nombre de nos normes. Le risque de récession est donc le début d’une reconsidération profonde de notre stratégie de croissance à long terme, cette fois plus ouverte et coopérative, interrompue par la guerre en Ukraine.

 

Quels sont les éléments de la conjoncture actuelle qui vont avoir les effets les plus profonds sur la situation économique et sociale ? A quelles conséquences concrètes faut-il s’attendre ?

Jean-Paul Betbeze : La conjoncture ne nous dit pas tout. Nous pouvons espérer en zone euro de la compréhension de la Banque Centrale Européenne ou des différents Trésors Nationaux en matière de déficits. Mais ceci n’est évidemment pas de nature à répondre à la profondeur des problèmes que la guerre d’Ukraine, la tension américano-chinoise et, partout, la montée des problèmes économiques, sociaux et politiques, révèlent.
Les conséquences concrètes, c’est qu’il faudra dire la vérité sur le nouveau monde qui s’ouvre. Cette attitude est bien différente de la naïveté que nous avons eue en pensant que commercer, échanger, faisait  évidemment progresser tous les partenaires, mais en oubliant les dépendances ainsi créées. Cette naïveté apparait aujourd’hui au grand jour et, quand on sous-estime aussi les coûts et les difficultés de la transition écologique, on voit que nous n’en sommes pas encore sortis.

Tout ceci conduit à faire un environnement plus compliqué et tendu avec des investissements importants en matériel et en formation, des mises au rebut et des prises de risques, tout ceci impliquant une inflation qui dépassera les 2% qui sont, de ce point de vue là, datés.

Pour sortir d’affaire, il faudra donc que les Banques Centrales reconnaissent que leur objectif est aujourd’hui plutôt de 4%, même si elles continuent à dire, prudemment, qu’elles dépasseront 2%… pendant plusieurs années ! Pour sortir de la naïveté, rien de tel que la vérité.


Atlantico

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