Plan de relance : les 7 hypothèses secrètes

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Le plan de relance de l'économie présenté le 3 septembre par le gouvernement se base sur des hypothèses dont rien n'assure qu'elles se vérifieront.

Plan de relance : les 7 hypothèses secrètes

Hypothèse 1 : la croissance remboursera, pas de plan B, pas de dégradation de la note France

Evidemment, quand on fait un plan, on suppose qu’il va fonctionner, ce qui n’empêche pas qu’il est un pari, assorti d’hypothèses. On suppose donc que les chiffres donnés par le Premier ministre correspondent à un scénario moyen (ni très optimiste, ni, bien sûr, adverse). Ce serait quand même mieux de le dire : 100 milliards d’euros en effet, le chiffre est rond et bien trouvé, c’est le montant d’emprunts à rembourser. 40 viendront de l’Union européenne, c’est à dire de l’emprunt de tous et 60 de notre emprunt. Il faudra des années pour le faire, sachant que le taux d’intérêt sera pratiquement nul et que cette dette nouvelle n’aura pas d’effet sur la qualité de la structure française de la dette et notre rating. Bref de l’argent gratuit, sans risque : voilà une première hypothèse qui n’est pas explicite.

 

Hypothèse 2 : la pandémie disparaîtra peu à peu, pas de deuxième vague

La pandémie va peu à peu s’atténuer. Or tel n’est pas le cas : d’ores et déjà le nombre de personnes atteintes par le COVID-19 en France ne cesse de monter. Près de 9000 cas détectés en 24H autrement dit, nous sommes au-delà des chiffres les plus élevés de fin mars (7578 le 31). Les chiffres montrent plutôt que la pandémie reprend, que les gestes barrières ne sont pas respectés, ceci avant la rentrée scolaire, dans les bureaux et les usines. D’ores et déjà la France est un des pays qui a le plus de cas nouveaux en Europe, après l’Espagne (10 500) : ce n’est pas l’Italie (1 700) ou l’Allemagne (1 500). Il paraît donc difficile de faire un plan de reprise économique à court et moyen termesl sans être sûr que la pandémie est sous contrôle, or tel n’est pas le cas, donc sans prévoir une ligne de dépenses pour arriver au nombre de cas qui éviterait un reconfinement d’envergure – qui mettrait en difficulté le plan d’ensemble.

 

Hypothèse 3 : les investissements seront bien choisis, pourront vite être mis en place et bien fonctionner

Ce plan de relance est un plan d’investissements, tant dans sa partie écologie (30 milliards) que compétitivité (34 milliards), ce qui est bien – puisque la consommation a tenu, grâce aux mesures des programmes antérieurs. La troisième hypothèse implicite est donc que les programmes d’investissements seront bien faits et pourront être mis en place en temps et en heure, au fond dans 2 ans, avant la fin du quinquennat ? Chaque fois les bons projets rencontreront les personnels compétents. Or, la crise que nous vivons est une perte du capital physique, avec les fermetures d’entreprise et les faillites, mais aussi du capital humain, avec les chômages, sinon les dépressions, ce à quoi s’ajoutera la perte du capital financier (baisse des valeurs des entreprises et crédits qui ne pourront être remboursés). L’hypothèse que la reprise économique se fera sans encombre et ne rencontrera pas de goulets d’étranglement financiers, physiques et humains est donc forte.

 

Hypothèse 4 : les ménages désépargneront et amorceront la pompe du financement pour assurer la suite de la nouvelle croissance

La quatrième hypothèse est que les ménages qui ont beaucoup épargné avec la pandémie à la fois par incapacité de dépenser et par inquiétude vont le faire et, mieux encore, investir en bourse (où le CAC 40 a perdu 16% depuis janvier). De février à juillet en effet, les ménages augmentent leurs dépôts bancaires de 98 milliards (à 1620 milliards) et leurs crédits de 22 (à 1515) : ils ont plus de dépôts que de dettes ! Leur demander de désépargner pour investir dans des fonds régionaux de soutien aux TPE, PME et ETI ne va pas de soi, même avec la garantie de fonds propres que le Plan de relance accorde aux fonds régionaux qui auront eu le label Relance. Compliqué ? Sûr ?

 

Hypothèse 5 : les syndicats accepteront les baisses des impôts de production (10 milliards) sans demander de compensation et l’étatisation des financements des régions n’aura pas d’effet pervers

L’hypothèse est ici que les syndicats acceptent ces « cadeaux aux patrons » sans demander de contreparties ou poser de conditions, ce qui réduirait d’autant la baisse fiscale annoncée. C’est une bonne chose que ces impôts de production, qui impactent directement les coûts et nuisent ainsi à la compétitivité, soient notablement réduits, sachant que la France surimposera toujours, même après, ses entreprises par rapport à l’Allemagne notamment. Mais il n’est pas sûr que ces impôts, dont on voit pourtant les effets sur notre commerce extérieur, notre budget et notre dette, plus notre chômage, soient toujours vus comme négatifs. On pourrait ajouter alors que les capacités d’impôts des régions seront réduites, dépendant plus de l’état, sauf si elles font des efforts de productivité et d’attractivité… ce qui serait bienvenu, mais ne va pas de soi. Ces baisses concerneront surtout la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises), avec la réduction de moitié de cet impôt, ce qui correspond à la suppression de la part régionale (- 7,25 milliards d’euros), compensée par la TVA. Ajoutons -1.75 milliard sur la TFPB (Taxe Foncière sur les Propriétés Bâties) et -1,54 milliard la CFE (Cotisation Foncière des Entreprises) avec des réductions aussi de moitié, compensées par le budget. Promis.

 

Hypothèse 6 : Ne jamais parler de « l’avec-COVID-19 ».

Trop déprimant : ce serait 1% de croissance au plus, 1% de hausse des prix au plus, 1% de hausse des salaires au plus, pendant deux ans au mois ! Tournons vite la page et passons à l’ « après-COVID-19 » ! Mais la surépargne actuelle ne se dissipera pas vite, avec le virus qui fera de la résistance. Or, en supposant que la pandémie restera avec nous au moins 2 ans, dans les faits et dans les têtes, elle impliquera des surcoûts d’organisation et des pertes de productivité (distanciations, gestes barrière), donc des baisses de rentabilité et d’emploi durables, au-delà des réductions d’impôt qui seront vite absorbées. La croissance française à moyen terme sera plutôt autour de 0,7 à 0,8%, avec un taux de chômage entre 8 et 10% et pas de hausse de prix, pour compenser les surcoûts qu’implique le virus. Les salaires augmenteront donc moins que prévu, et en 2021 moins que prévu en 2020, comme le montrent les enquêtes du cabinet Deloitte. Dans ce contexte, l’enrichissement des tâches et la formation, notamment pour utiliser les nouvelles technologies de communication, seront décisifs. Ce devrait être les vraies demandes de compensations, suite aux baisses d’impôts.

 

Hypothèse 7 : Les services enrichis en formation permettront seuls la transition entre l’ « avant-COVOD-19 » et « l’après COVID-19 », dont on ne parle pas

La sous-productivité massive française, à réduire, est là. Un effort massif de formation est indispensable, mené avec et pour les hôtels, restaurants, Ehpads, hôpitaux… Le virus a conduit à une crise bien plus forte dans les services, avec des baisses de 50 à 80% de l’activité (tourisme, transport, hôtels, restaurants), par rapport à 5 ou 10% dans les demandes de produits industriels, On pourra faire des rabais et des gains de productivité dans l’industrie, ce sera impossible dans les services, sans changements radicaux. Or le Plan ne traite pas ce sujet, parlant des batteries et de l’hydrogène vert, mais pas des petits hôtels ou des boutiques de centre de ville par exemple. La raison est simple : il ne sait pas et parie sur des ajustements et des formations, à côté des fermetures, sans en parler. C’est là l’angle mort de ce Plan de relance : le COVID-19 n’est pas un « nouveau monde », mais une accélération des changements en cours, avec plus de marges, plus de flexibilité, plus de formation, plus de capital humain. Des changements que nous freinons depuis des années. Et ça, ce n’est malheureusement pas une hypothèse.


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