Pas de pénuries à Noël : ce que la pandémie Covid nous a appris (de la résilience) du capitalisme mondialisé

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Les effets de goulots d’étranglement liés à la sortie de la pandémie n’ont pas empêché les marchés de fonctionner. Et rien ne prouve que des relocalisations tous azimuts auraient permis d’obtenir de meilleurs résultats.

Pas de pénuries à Noël : ce que la pandémie Covid nous a appris (de la résilience) du capitalisme mondialisé

 

Atlantico : On prédisait des pénuries à Noël suite aux effets de goulots d’étranglement liés à la sortie de la pandémie. A une semaine des fêtes, force est de constater que le pire n’a pas eu lieu. A quel point les marchés ont-ils su s’adapter ?

Jean-Paul Betbeze : D’abord, et c’est « de bonne guerre », annoncer une pénurie aide à la réduire tant ceci pousse à stocker plus en avance ou à faire des achats par Internet au plus tôt, dans des sites qui gèrent et affichent les stocks. Ces sites qui jouent un rôle de plus en plus important, notamment avec la pandémie, organisent à la fois les déstockages puis les changements de projets d’achat, quand le produit n’est plus disponible. On peut donc penser que les fêtes, avec une épargne abondante qui cherche à s’écouler, vont conduire à une baisse très importante des stocks, au point où on peut se demander ce qu’il restera à solder et où les difficultés d’approvisionnement pourraient se manifester après les fêtes, quand le monde entier se mettra à acheter.

Ensuite, tous les cadeaux ne sont pas « des choses » : nombre de livres offerts sont des e-books, sans compter les abonnements à Netflix, à des cinémas, à des journaux et des revues par Internet. Une part croissante de l’économie est immatérielle, surtout consommée par les jeunes.

En troisième lieu, si les ports sont encombrés, aux États-Unis et en Europe, et si les produits chinois, asiatiques en général, vont plus lentement qu’avant, tel n’est pas le cas de qui se produit ici, en Allemagne, en Espagne ou en Italie.

Enfin et surtout, il y a de vraies pénuries, du fait de manque de puces, mais on ne le dit pas. Les voitures, plus chères, sont là, comme les ordinateurs plus coûteux : autrement, la pénurie devient l’attente !

Bref, il y a de véritables « jeux commerciaux » autour de la pénurie, en l’annonçant pour la réduire, en utilisant plus de productions locales et surtout, pour les vraies pénuries physiques, en les faisant subir aux produits moins chers et, sans doute aussi, aux ménages plus jeunes ou moins riches. C’est là que les marchés d’occasion, avec les places de marché informatique, jouent un rôle « anti-pénurique » nouveau et essentiel.

 

En 2008, la crise était d’abord financière. Avec le Covid, l’enjeu a d’abord été sanitaire avant de devenir économique. Dans cette grande crise « totale », la première depuis longtemps, le capitalisme mondialisé a-t-il montré sa capacité de résilience? Qu’est-ce qui a permis au système de ne pas céder, notamment sur les chaînes de production ? 

Jean-Paul Betbeze : Ce qui a permis au « système » non seulement de ne pas céder mais de résister et de remonter la pente, c’est le crédit, comme toujours dans l’histoire. En 2008, avec les subprimes, la Banque centrale américaine achète les bons du trésor, technique imparable pour éviter un nouveau 1929. Puis le G20 se coordonne. Puis, face à la crise des dettes publiques en Irlande et dans les pays européens du sud, la Banque centrale européenne fait comme la Fed et lance son quantitative easing, auquel s’ajoute le soutien direct baux banques. Et quand vient la pandémie tout le monde redouble de déficit budgétaire et de quantitative easing. Le risque est clair : la déflation, la baisse autoentretenue de la production et des prix. Il faut donc plus de déficit et de crédit et en parler aux particuliers et aux marchés financiers, pour éviter la panique : ce qui a eu lieu.

Aujourd’hui, comme après un incendie, il s’agit d’éponger les liquidités – et l’on trouve l’inflation ! Et c’est là que l’on butte sur les pénuries physiques mais surtout technologiques, les puces, et que l’on mesure nos fragilités, pour les médicaments ou les protections contre les cyberguerres par exemple.

Le crédit a évité le pire mais ne pourra pas faire repartir la machine sans des investissements qualitativement nouveaux, verts si l’on veut, d’innovation et de défense. Nous vivons en effet une « polycrise », financière, technologique et géopolitique, partout et à des degrés divers. Il y a donc plus de risques, mais comme ils sont partout, personne n’a intérêt à trop tirer sur… les chaînes !

 

On a  entendu beaucoup d’appels à la relocalisation suite aux différentes pénuries de la crise. La manière dont la situation a évolué prouve-t-elle que l’enjeu de cette question est plus un enjeu de souveraineté qu’un véritable enjeu stratégique ? 

Jean-Paul Betbeze : « La relocalisation » n’est pas possible et pire encore, elle serait catastrophique si elle avait lieu ! Nous vivons ensemble, partageons les productions et aimons bien aussi ce que font les autres, par exemple les produits alimentaires italiens, sans compter les micros Apple, pour la bonne raison que nous ne savons pas les faire. La relocalisation ne peut donc qu’être partagée à plusieurs, notamment dans le contexte européen, liée à des complémentarités et à des contrats à long terme, particulièrement en matière énergétique.

La souveraineté est stratégique, passant par la monnaie et sa solidité, l’activité et l’emploi, la paix sociale, nos capacités et alliances militaires. Mais, à la base et à long terme, ce sont les innovations et les brevets qui font la différence. La polycrise actuelle nous montre les défis à relever, au-delà des sujets secondaires qui nous « occupent ». A terme, rien n’est possible sans apprendre plus de mathématiques et à coder en sixième. Dès à présent, il s’agit de bâtir une Europe puissance, plus verte et sûre si l’on veut, avec des alliances en Afrique et une vraie capacité militaire. La capacité d’attaquer est la meilleure défense, on le voit avec ce qui se passe en Ukraine. Stratégie vient du grec stratège : général. Il ne faut pas oublier ce qui se passe avec toutes ces crises qui convergent, sous prétexte que nous avons vécu 70 ans de paix mondiale. La naïveté est un danger, la paix est un combat.


Atlantico

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