Le Coronavirus ou le test grandeur nature d’un monde à la Greta Thunberg : stop ou encore...?

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La crise actuelle, qui s'apparente au scénario de décroissance rapide et d'arrêt du libre-échange prôné par certains militants écologistes, montre l'impact de ces idées sur des millions de personnes tombant dans la pauvreté.

Le Coronavirus ou le test grandeur nature d’un monde à la Greta Thunberg : stop ou encore...?

 
Au vu des effets du confinement, les « décroissants » doivent-ils revoir leur approche ? Si oui, pourquoi ? La décroissance ne risque-t-elle pas de paupériser les classes moyennes davantage ?

Jean-Paul Betbèze : Oui, s’ils regardent ce qui se passe. D’abord, la pandémie montre nos risques permanents : ces maladies qui viennent d’une trop grande proximité avec les animaux (zoonoses) dans des économies en développement et qui s’ouvrent. Faut-il freiner le développement et l’ouverture, qui font que le virus prend l’avion et que l’épidémie devient pandémie ? Faut-il freiner le rattrapage des pays émergents ? On voit les avantages de la croissance : la montée de l’emploi et du revenu, par rapport à son inverse : le chômage, la pauvreté. On peut toujours dire que le capitalisme est excessif, inégalitaire et polluant. On voit certes que son arrêt permet de mieux voir le ciel, mais avec un coût élevé pour la stabilité même des sociétés humaines. La croissance permet à tous d’avancer, notamment aux pays émergents, en luttant contre la pauvreté de masse qui y sévit. La progression de la Chine, suivie de l’Inde, réduit la pauvreté mondiale. Mais elle accroît aussi les inégalités au sein de chaque pays, le « rattrapage » ne se faisant pas à la même vitesse pour chacun. Et quand la Chine, l’Inde, l’Afrique « rattrapent », ils polluent plus. C’est inévitable, mais ils vivent mieux.

Arrêter alors ? Le confinement suite à la pandémie de COVID-19 montre en vraie grandeur les effets d’un choc qui frappe « tout le monde », au sens strict. Les entreprises ferment (l’offre) et les ménages restent chez eux, après avoir fait des provisions s’ils le peuvent (la demande). C’est à court terme la récession, puis la déflation (les prix baissent), puis la dépression si rien n’est fait pour faire massivement repartir, à la fois, et l’offre et la demande. La durée du choc montre son prix économique : une perte de 3% de PIB par mois en France et son coût social : une explosion du chômage. Elle montre aussi son prix politique, avec la montée des tensions au sein de chaque pays et entre pays. Ce qui se passe au sein de la zone euro, avec le refus d’Eurobonds santé pour financer la remontée économique et sociale, est exemplaire de réactions protectionnistes, pour ne pas dire dangereusement égoïstes.

Mais les « décroissants » diront que, s’ils ne veulent pas de la poursuite de la croissance « avant COVD-19 », ils ne veulent évidemment pas de l’arrêt actuel. Bien sûr. Mais nous voyons à quel point le rattrapage des émergents est lié à la croissance des pays industrialisés. Il faut donc trouver une façon de poursuivre une croissance qui soit « soutenable » dans la durée, qui permette de faire naître et s’étoffer une classe moyenne. Qui sera la première à payer en cas d’arrêt, comme c’est le cas aujourd’hui.

Donc les « décroissants » vont devoir changer leur critique contre la croissance « passée », et qu’elle change aussi. Pour devenir non seulement plus et mieux répandue, et surtout plus résistante aux chocs, il faudra qu’elle monte en qualité d’information et de formation, d’ouverture et d’échanges. Plus de « meilleure » croissance, donc.

 
Pourquoi les « décroissants » se félicitent-ils de l’impossibilité de commercer entre les pays ? Quels effets cette impossibilité a-t-elle sur la mobilité de la population ? des marchandises ? des services ? du virus donc ? En voulant une politique protectionniste, les « décroissants » ont-ils une vision réactionnaire des choses ?

Jean-Paul Betbèze : « Se félicitent » est peut-être un mot fort. Limiter les échanges aux échanges nécessaires est plutôt leur tendance, pour réduire certains excès à leurs yeux. Les « décroissants » ont en effet « un problème » avec l’échange, car échanger répond à un besoin qui ne peut être satisfait sur place. L’entrepreneur a besoin de pièces pour compléter le produit, fait ici ou ailleurs. Et le consommateur désire aussi des produits venus d’ailleurs. Ce besoin est objectif, la pièce d’acier qui sera bien faite dans un lieu spécialisé, ou subjectif, les fraises à Noël : au nom de quoi les empêcher ? Ils permettent à chacun de se spécialiser dans ce à quoi il excelle ou d’être « content ». Bien sûr, ces échanges doivent obéir à des normes de sécurité (alimentaire, sanitaire, technique) à côté des conditions de prix. Il ne s’agit pas, de moins en moins, d’être seulement le moins cher. Ainsi se nouent des échanges, des spécialisations, des intégrations, des complémentarités.

Mais il faut aller au-delà : arrêter ou freiner les échanges réduit certes des transports et des spécialisations que l’on peut trouver excessifs, mais conduit donc à intégrer davantage, sur plus large échelle en un même lieu, par exemple pour l’automobile ou même pour les produits alimentaires. Les échanges spécialisent et répartissent, réduire les échanges concentre par grandes usines ou grandes fermes. On peut craindre que ceci polarise les activités et les richesses, donc accroissent les inégalités sociales et territoriales.

En fait, pour gérer au mieux les échanges, faut-il intégrer à côté des normes et des prix, des exigences de sécurité sanitaire, alimentaire et militaire, portant sur les équipements véhiculant et traitant les données, en ayant le souci de protéger le pays. Mais, là encore, on ne peut tout faire, tout faire à un prix accessible et moins encore « bien faire ». Sauf à rêver à un protectionnisme réactionnaire au sens strict, de fait impossible à atteindre et qui pousserait vite à la dépression, si on se lance dans cette voie. La décroissance ne se règle pas, face à des milliards hommes qui vivent dans la pauvreté : ils la refuseront, bien sûr. Et si nous y cédons, nous ne vivrons pas seulement plus mal, avec plus de chômeurs et le départ de ceux qui n’acceptent pas cette stratégie, mais notre existence sera sanitairement, économiquement, militairement et politiquement menacée.

En fait, comme toujours, c’est quand le monde change avec la grande révolution technologique en cours, quand survient le virus qui montre nos liens et nos faiblesses, en pleine guerre États-Unis/Chine, que l’on s’interroge sur le futur. Une nouvelle croissance est possible, profitant des innovations en cours, bâtissant des alliances plus fortes, en zone euro, avec l’Afrique. Ce n’est pas du tout décroître, mais choisir une démarche stratégique de croissance plus moderne et plus complète, stratégiquement plus autonome. Autrement, « décroître » c’est se défaire et faire le bonheur de ceux qui feront le choix inverse, en attendant de nous cloîtrer.


Atlantico

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