La Cour Constitutionnelle allemande va-t-elle bloquer la reprise européenne ?

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Après la crise sanitaire du coronavirus, une crise constitutionnelle pourrait ébranler les fondements de l’euro. La Cour Constitutionnelle allemande de Karlsruhe a rendu mardi un jugement explosif pour le fonctionnement de la Banque centrale européenne (BCE).

La Cour Constitutionnelle allemande va-t-elle bloquer la reprise européenne ?

Ce mardi 5 mai, l’euro baisse de 0,7%, soit 4,4% depuis le début de l’année. C’est, sur un jour, sa chute la plus brutale en un mois, pourtant secoué. En même temps, le rendement du bon du trésor italien à 10 ans passe de 1,7 à 1,9% en un seul jour. La raison : l’arrêt de la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe (BVergfG) publié ce même jour à 10 heures, une décision que les juristes puis les responsables des banques centrales vont étudier de près, avant de réagir, sachant que la Banque Centrale Européenne réunit ses gouverneurs.

Immédiatement, les marchés ont montré leur inquiétude. Cet arrêt répond en effet, assez favorablement, à une plainte de responsables d’entreprises et d’universitaires allemands disant (en permanence depuis des années) que la BCE va au-delà de ses prérogatives. Selon eux, elle ne gère pas « la politique monétaire », mais mène, en fait, « une politique économique ». On conçoit qu’il y aura là matière à empoignades, mais qu’en pleine crise du COVID-19, cette décision prend un relief particulier – tragique même. Ainsi, selon Bloomberg, le porte-parole de la Banque Centrale Allemande (BUBA) n’a-t-il pas souhaité la commenter et celui de la Banque Centrale Européenne a indiqué qu’il ne commente pas les jugements des niveaux nationaux. Ambiance…

Ambiance en effet, car si la Cour déclare dès le début de son jugement qu’elle fonde ces jugements sur ceux de la Cour Européenne de Justice de l’Union Européenne, elle ajoute aussitôt après que cette même Cour Européenne est allée au-delà de son mandat juridique, en acceptant le Programme d’achats de titres publics (Public Sector Purchase Programme, PSPP) ! Ce faisant, la Cour Européenne aurait rendu, en acceptant ce PSPP un jugement qui n’est « pas compréhensible » et qui est « arbitraire », selon elle. Elle poursuit : « au moins pour l’Allemagne, ces décisions manquent au minimum de légitimation démocratique nécessaire en fonction de certains articles du Traité et de la Loi Fondamentale (allemande) » ! Ce qui est en jeu n’est en effet rien moins que l’un des principaux outils du plan d’assouplissement quantitatif (QE, Quantitative Easing), qui ont permis depuis 2015 à la BCE de limiter les coûts de financement de certains Etats membres. On aura reconnu l’Espagne et surtout l’Italie, sachant que l’Allemagne elle-même a profité aussi profité de ces taux bas…

Ce sont plus de 530 milliards d’euros, sur les 3000 détenus par la BCE, qui sont ainsi concernés ! Aux termes de ce texte, la BUBA devrait se désengager de ce programme, autrement dit commencer par vendre les titres qu’elle y détient, ce qui est une bombe. Ceci représenterait en outre, chaque mois, un manque d’acheteurs du quart du montant. La remontée des taux longs serait là !

Pour éviter une telle évolution, la Cour Fédérale « accorde » trois mois au Gouvernement allemand et au Bundestag pour assurer que la politique de la BCE ne viole pas la prohibition du financement monétaire du déficit. Ceci suppose que les achats de titres de la BCE sont :

  • proportionnels : « assez facile à montrer», les achats ayant une base nationale, mais plus compliqué d’un point de vue qualitatif, ce que veut la Cour, pour répondre aux objectifs poursuivis qui doivent être démontrés comme ajustés aux situations et justes,
  • de qualité : ce qui est aujourd’hui assez complexe, compte tenu de la situation économique,  où tous sont plus risqués,
  • d’obéir aux « clefs de capital » : à gérer. Ces « clefs » consistent à acheter des actifs financiers au prorata de la part de chaque pays dans le capital de la banque. Ceci est techniquement possible à l’échéance du plan, sachant qu’en mars et en avril, la BCE a acheté beaucoup de papier italien. Donc il faudra cesser,
  • de ne pas acheter plus de 33% de l’émission d’un émetteur donné, sachant que le pourcentage devrait être actuellement de 31% pour l’Allemagne, ce qui pose une limite proche, et surtout des questions redoutables pour les autres pays (toujours les mêmes).

La « bonne nouvelle » est que ce jugement ne porte pas sur le PEEP (Pandemic Emergeny Purchase Programme, pour financer les effets de la Pandémie), question de calendrier en fait, pour autant que la BCE n’a pas encore mis en œuvre ses décisions de les augmenter, sinon de les doubler de 750 à 1 500 milliards d’euros ! Pour s’en sortir, il faudra que la BCE revoie cette règle des 33%, autrement elle ne pourra mener sa politique pour contrer les effets de la pandémie, et moins encore pour financer la relance.

L’étrange bonne nouvelle est que les commentateurs allemands ne semblent pas inquiets, l’expertise de la BCE devant permettre selon eux de trouver les bons arguments. Ceci paraît bien optimiste : d’abord, ce sont le gouvernement et le Parlement allemands qui doivent convaincre la Cour allemande. Ensuite si elle est convaincue, c’est qu’elle se sera trompée ! Enfin le contraste entre les besoins de financement liés à la crise actuelle, avec ce jugement, même défait, pose un problème ; comment s’affranchir des limites antérieures ? Rien de cela n’ira de soi : les juges allemands ont montré les limites des arrangements et des non-dits des Traités, face à des conceptions dépassées. Demain, ça passe ou ça casse. Il faudra dire si l’on s’occupe de la zone monétaire dans son ensemble, ou de chacun de ses membres.


Atlantico

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