Ce mercredi, la banque centrale américaine devrait abaisser ses taux directeurs pour la troisième fois depuis septembre, avant de marquer une pause.
Atlantico : Qui a tort ou raison entre Donald Trump et Jerome Powell sur l’évolution et la situation de l’inflation aux Etats-Unis ? Quel est le scénario le plus probable sur l’évolution de l’inflation aux États-Unis au regard des réalités économiques ?
Jean-Paul Betbeze : MAGA contre mandat, Trump contre Powell : c’est la conséquence immanquable de l’opposition entre l’élection de l’un et la ténacité de l’autre, qui se veut indépendant dans l’exécution de son mandat. Jerome Powell ne cesse en effet de répéter son mandat : rechercher un équilibre entre inflation et emploi, une inflation autour de 2% à moyen terme, compatible avec le maximum d’emploi.
Donald Trump, lui, a été élu sur un programme simple : MAGA, autrement dit retrouver la puissance passée des États-Unis, en clair leur dominance sur les autres. Ayant été ainsi largement élu, ceci montre à quel point il s’agit pour ses électeurs de revenir à ce qu’était, pour eux, la source de la grandeur du pays : l’indépendance de chacun, dans la prise de risque. En même temps, son résultat électoral plus important que le précédent, signale un autre objectif : prendre appui sur la révolution technologique en cours. Il ne s’agit donc plus de baisser les impôts et de réduire la taille de l’État central, potion républicaine traditionnelle, mais de s’associer aussi avec la Silicon Valley, personnifiée par Elon Musk, pour déréguler.
Le MAGA de Trump 2 est donc plus profond que le précédent. Il implique de tout faire pour soutenir la croissance américaine, au milieu de la révolution technologique en cours. Mais, en même temps, la dominance souhaitée par D.Trump s’oppose à la stratégie chinoise. C’est pour cela que l’on trouve chez lui une combinaison entre des politiques augmentant les droits de douane et rapatriant aux Etats-Unis des activités jugées stratégiques, en particulier si elles sont installées à Taïwan : il s’agit des semi-conducteurs créés par TSMC. Mécaniquement, ceci implique les hausses des prix des produits importés aux États-Unis, donc plus d’inflation. Mais D.Trump ne s’arrête pas là, voulant augmenter les droits de douane des importations venant du Canada et du Mexique, sans oublier la zone euro ! Le protectionnisme MAGA concerne aussi l’immigration, surtout clandestine : taxer les importations mexicaines, c’est pour freiner les arrivées d’Amérique Latine et pour celles du Canada, les asiatiques.
Ce qui commence à apparaître, c’est que la politique MAGA a non seulement des effets inflationnistes mais aussi politiques, suscitant des oppositions au Mexique et plus encore, actuellement, au Canada. Ceci sans oublier que le Congrès américain veut montrer qu’il existe et peut ne pas apprécier beaucoup les baisses d’impôts promises par le nouveau président : un shutdown peut toujours arriver.
D.Trump n’aura donc pas seulement à s’opposer à un J.Powell, mais aussi à ses principaux fournisseurs économiques et au Congrès. Il faudra donc qu’il atténue sa politique, en faisant des deal, étant entendu que de son côté la FED baissera ses taux lors de sa prochaine réunion et s’apprête à continuer. L’inflation américaine est à 2,7% pour des taux d’intérêt à 4,75% sachant que des calculs parlent d’un ‘’taux neutre’’ à 2,9%. La guerre est donc celle des stratégies : politique de D.Trump contre politique monétaire, mais pas seulement.
Donald Trump va-t-il vouloir mettre un terme au mandat de Jerome Powell ? Les mesures économiques et les réformes de Trump seront-elles entravées par les contre-mesures de la Fed ?
J.Powell est parfaitement au courant des sentiments de D.Trump à son égard. Lors de sa dernière conférence de Presse, il a eu de nombreuses questions à ce sujet. Il a répondu qu’il était indépendant, protégé par la Loi et qu’il n’envisageait pas de démissionner. Nous en sommes donc à ces échanges d’amabilités. Nous verrons ce qui se passe si l’inflation remonte et si J.Powell remonte ses taux : ce serait perçu par D.Trump comme une déclaration de guerre. Ce dont rêve ce dernier, c’est que la FED revoie à la hausse son objectif de prix passant d’un 2% qui fait « vieux monde », avec une croissance faible (on a reconnu l’Europe), à 3-3,5% d’inflation pour une économie qui croit à 3-4% et qui entend redominer le monde. A voir.
Quel pourrait être l’impact de cette crise autour de l’inflation et entre la Fed et Donald Trump aux Etats-Unis pour les pays européens et pour la France alors que Christine Lagarde affirme que l’inflation est derrière nous ?
On sait qu’aux États-Unis les marchés financiers parient sur cette nouvelle économie incarnée par Elon Musk, les cryptomonnaies, plus les hausses de droits de douane et sur le rapatriement d’activités pour être moins tributaire de la Chine (derisking). Il y aura donc une persistance de l’inflation, au moins un temps. Ceci ne va pas aider Christine Lagarde, d’autant que D.Trump menace également de taxer les produits européens et plus particulièrement les automobiles allemandes qui souffrent déjà d’un moindre achat en Chine. En même temps, la Chine pâtissant de la politique protectionniste américaine va déverser ses surplus en Europe, sauf si cette dernière s’en protège. Nous entrons donc dans une guerre commerciale étendue, avec moins de croissance partout et un risque de supplément d’inflation. En zone euro, ceci impliquerait de revoir les politiques contraignant le déficit budgétaire : nous n’y sommes pas.
Au total, nous entrons dans un monde MAGA, évidemment plus compliqué pour tous que les deals entre personnes auxquels pense D.Trump. Le risque peut porter sur la croissance et l’emploi, sans compter que tout ceci n’est pas forcément pacifique !
Atlantico