Europe : l’horizon se dégage-t-il pour Emmanuel Macron ?

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Emmanuel Macron semble avoir trouvé un terrain d'entente avec Mark Rutte, le Premier ministre des Pays-Bas, sur le plan de relance économique européen. Angela Merkel a progressé également sur le dossier de mutualisation des dettes européennes. L'horizon se dégage-t-il enfin pour Emmanuel Macron en Europe ?

Europe : l’horizon se dégage-t-il pour Emmanuel Macron ?

Source: www.kremlin.ru

Atlantico.fr : Alors que le président français Emmanuel Macron semble avoir trouvé un terrain d’entente avec le Premier ministre des Pays-Bas Mark Rutte pour entamer le vaste plan de relance économique européen, la chancelière allemande Angela Merkel semble elle aussi avoir réussi à convaincre la Cour constitutionnelle de revenir sur sa décision d’enterrer l’ambitieux plan franco-allemand de mutualisation des dettes européennes. À défaut de l’être sur le plan national, l’horizon se dégage-t-il enfin pour le président français sur le plan européen ?

 

Jean-Paul Betbeze : Oui, l’horizon se dégage, pas seulement pour la France et Emmanuel Macron, mais pour l’Union Européenne dans son ensemble. Le COVID-19, si l’on prend les chiffres de l’OCDE, l’a plus fortement frappée, -10% de chute du PIB environ, que les États-Unis, -8%, avec surtout une reprise plus lente. Ceci est d’autant plus problématique que les moyens mis en œuvre pour en atténuer l’effet et plus encore pour repartir n’ont pas la même ampleur des deux côtés de l’Atlantique.

En effet, pour lutter contre le virus et permettre la relance, il faut être capable non seulement de mobiliser des déficits budgétaires importants, mais aussi d’avoir une Banque Centrale qui achète largement les bons du Trésor qui viennent de ces déficits. Les États-Unis, dans ce contexte qui obéit certes à des logiques internes (politiques, économiques et boursières), vont vers trois trillions de dollars de déficit budgétaire, avec une banque centrale (la Fed) qui manifeste un soutien indéfectible. La Fed ne pose pas de problème pour acheter les bons d’état, ainsi que les obligations privées, même spéculatives.

En revanche, dans le contexte européen où le choc est ressenti de manière plus forte, les moyens envisagés sont plus limités. C’est particulièrement le cas dans la zone euro où le Covid a considérablement affaibli les économies italienne, espagnole et française (qui peuvent perdre de l’ordre de 12% de PIB en 2020, avec séquelles), les économies espagnole et italienne étant déjà fragiles. Et voilà qu’en plus la Banque Centrale Européenne voit ses moyens contestés par la Cour Fédérale Allemande qui trouve que la BUBA (Banque Centrale Allemande) « en fait trop », en soutenant trop les autres pays.

Si rien ne s’était passé pour la contrer, le risque était alors que la BUBA ne puisse plus acheter de bon du Trésor allemand et d’autres pays, non plus que soutenir les entreprises privées sur les marchés obligataires. L’Union Européenne, plus touchée par le virus que les États-Unis, avec en son sein certaines économies nationales déjà plus faibles et que les agences de Rating sur le qui-vive, risquait donc gros. Elle se trouvait face à une double limite : celle venant de la BUBA, qui pouvait (au moins) gêner la BCE et celle venant des critères de Maastricht, sur les déficits et la dette.

Tout le monde, au fond, était conscient de la nasse et a poussé un soupir (interne) de soulagement quand la France et l’Allemagne ont décidé de réagir en augmentant les moyens proposés en termes de dépenses, de crédits et de subventions, ce qui était une façon directe d’aller contre la Cour Fédérale Allemande et les limites de certains états membres de l’Union, les réticences de la Commission Européenne en matière budgétaire ayant pratiquement disparu.

En un mot, sous le chapeau de l’Union qui s’endette pour compte commun et aurait plus de moyens grâce à des taxations nouvelles, voilà une Union qui distribue non seulement plus de crédits, mais aussi des subventions suite à la dernière proposition de la Commission, qui intègre celles de Macron Merkel, et en rajoutent ! Donc oui : l’horizon se dégage, parce que les responsables européens voient que leur situation actuelle et future sera difficile, surtout s’ils ne font rien par rapport aux autres.

 

Quels points de blocage au lancement de ce plan européen demeurent malgré ces avancées ?

Evidemment tout n’est pas résolu, mais il ne s’agit pas de « blocages ». Face à la vision réduite au niveau national que présente la Cour Fédérale Allemande avec le « principe de proportionnalité » ramené à l’échelle du pays, il s’agit en fait d’une avancée de nature fédérale. Ceci se voit dans l’organisation même du projet de la Commission, 1100 milliards d’euros au niveau de la dette de l’Union, plus 750 milliards d’euros pour le programme de résilience-relance, avec 250 milliards de crédits (donc remboursables) et 500 de dons. Ceci a montré à quel point la volonté de riposte était puissante, puisque le projet présenté le 19 juin aux chefs d’état et de gouvernement n’a pas rencontré d’opposition frontale. Depuis, chacun essaye de réduire, de son côté, les difficultés. En Allemagne, le Président de la BUBA précisera à la Cour Fédérale les positions de la BCE et la Chancelière a rencontré le Chancelier autrichien. De son côté, Emmanuel Macron a rencontré le premier ministre hollandais.

Peu à peu, il s’agira donc de préciser et de discuter. Nous en sommes dorénavant à une phase de mise au point, le principe du projet ayant été accepté. C’est alors qu’arrivent les grains de sable ou pire : 750 milliards d’euros de crédits, n’est-ce pas trop ? 500 milliards de subvention, n’est-ce pas trop ? Comment répartir l’argent aux pays bénéficiaires : pourquoi prendre dans la clé de répartition de crédits et des aides entre pays le niveau relatif de chômage depuis cinq ans alors que le COVID-19 vient d’arriver ? N’est pas une façon d’aider ceux qui étaient déjà faibles ? Rembourser entre 2028 et 2058 : n’est-ce pas trop loin ? Ne peut-on aller plus vite ? Prêter sans conditions ? Sans conditions de respect de l’état de droit (Pologne et Hongrie) et sans engagements de réformes et de sérieux budgétaire (Italie et… France) ? Et ces nouvelles taxes sur le transport aérien, est-ce le moment ? Sur les GAFAM, n’est-ce pas dangereux avec Trump ? Une taxe carbone aux frontières d’accord, mais n’est-ce pas très compliqué ? Et taxer les entreprises européennes ! Les problèmes de « réglage » ne manqueront pas !

 

Ces négociations ne risquent-t-elle pas de vider le plan de relance de sa substance afin de plaire aux 27 pays de l’UE ?

Et oui : nous ne sommes pas sortis de l’auberge ! Mais la crise du COVID-19 va durer : il ne s’agit donc pas d’un « exercice » européen, mais de faire un saut pour que la croissance rebondiss avec le moins de séquelles possibles par rapport à une Chine qui semble elle repartie et des États-Unis qui prennent plus de risques que nous. Dans ce contexte, il y a toujours le risque de raboter, de faire trop peu ou trop tard. Mais c’est oublier que le 1er juillet Angela Merkel devient présidente de l’Union Européenne et que, avant de quitter la scène, politique elle fera tout pour réussir, sans être seule. Rien n’est fini, ni gagné. L’Europe en a vu d’autre, surtout la zone euro joue sa place mondiale. Attention : l’histoire ne repasse pas les plats.


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