Donald Trump veut-il mettre en faillite Xi Jinping et la Chine ?

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C’est la question que l’on peut se poser, face à la montée des tensions à laquelle on assiste depuis deux ans. Ce serait, en l’espèce, la bombe atomique, ou plutôt la guerre atomique du fait de ses répercussions. Jean-Paul Betbeze revient sur la guerre économique et commerciale entre les Etats-Unis et la Chine.

Donald Trump veut-il mettre en faillite Xi Jinping et la Chine ?

1 – L’histoire commence au poste de douane. En effet, le début des problèmes est surtout commercial et quantitatif : c’est le fait que la Chine achète bien moins de produits américains que les États-Unis n’achètent de produits chinois. Les importations américaines de produits chinois se montent en effet à 450 milliards de dollars, contre 110 milliards d’exportations américaines vers la Chine. Un déficit de 340 milliards, le plus important de tous, et Donald Trump veut le réduire, prétextant que cela aurait détruit des millions emplois américains, notamment dans l’industrie. Pour réduire cet écart, il faut, pour Donald Trump, que la Chine achète bien plus à l’Amérique, notamment de produits agricoles, ce qui est sans doute le plus facile (et politiquement payant pour Donald Trump).

 

2 – Ensuite la température monte, parce que la Chine n’achète pas assez vite : il s’agirait qu’elle achète rapidement pour 200 milliards de dollars supplémentaires… ce qui n’est pas peu. Alors Donald Trump menace, s’énerve et riposte par des hausses de tarifs à l’importation des produits chinois : c’est le « tariff man ». Il parle  ensuite de « vol » pour décrire le déficit commercial américain, sachant que la Chine riposte de son côté en montant ses tarifs à l’importation de produits américains, mais moins. En même temps, le Président Trump refuse de reconnaître que c’est le consommateur américain qui paye le surcoût de cette politique, et pourtant c’est mathématique ! On pouvait imaginer que ces phases étaient les premières, avec l’idée de soutenir la croissance et l’emploi américain… mais elles devenaient peu explicables dès lors que les États-Unis étaient en plein-emploi. Donc, il y avait autre chose.

 

3 – Passons dans les laboratoires et salles de change. Une autre étape suit, avec deux volets, technologique et monétaire. En matière technologique, il s’agirait de vols de technologies américaines, d’espionnage, d’achat de matériaux sensibles. Les États-Unis réduisent alors le nombre d’étudiants chinois dans leurs universités, leurs labos et de ressortissants chinois dans les centres de recherche des entreprises les plus avancées et les start-ups. Nous sommes avec la CIA et le FBI. En matière financière, il s’agit de voir dans quelle mesure la Chine manipule sa monnaie pour la déprécier, aidant d’autant ses exportations. C’est le Trésor américain qui est là en charge d’un rapport semestriel, où le yuan est étudié (avec d’autres monnaies), mais avec des méthodologies qui laissent place à quelque souplesse politique. De fait, jusqu’à maintenant, la Chine ne manipule pas, officiellement, le yuan/renminbi.

 

4 – Venons-en alors à la frontière technologique et de manière très visible, à la 5G. Il s’agit de savoir qui, des Etats-Unis ou de la Chine, maîtrise le mieux cette technologie et est à même de l’implanter…partout dans le monde. On comprend l’enjeu et le symbole : qui est le plus en avance dans cette technologie pionnière, celle de la transmission ultra-rapide de masses de données ? Les États-Unis refusent ainsi que Huawei s’implante chez eux, prétextant que les informations transportées pourraient être utilisées par le gouvernement chinois. Ils font pression sur le Canada, où la fille du Président de Huawei est en résidence surveillée (depuis  décembre 2018 !), devant être extradée aux États-Unis, tandis que deux Canadiens sont dans des geôles chinoises (ambiance). Viennent ensuite l’Australie, le Royaume-Uni, l’Europe (Italie, France…), sachant que si Huawei s’installe dans la 5G, outre le symbole, ce sont ses réseaux, technologies et normes qu’elle installe – durablement. Bien sûr, il n’y a pas que la 5G en jeu. Batteries, avions, calculs à grande vitesse, espace… figurent aussi dans cette bataille pour la frontière technologique les brevets, leur protection et les ventes de matériaux sensibles, mais la 5G est à l’avant-poste.

 

5 – Continuons par la finance et la propriété du capital, avec les interrogations sur les entreprises publiques chinoises ou à capitaux majoritairement chinois dont les États-Unis souhaitent, en fait, la privatisation. Place à la seule économie de marché ! Sachant que ceci ne peut avoir lieu, les autorités américaines souhaitent alors limiter le commerce avec elles, prétextant (comme toujours) qu’elles peuvent transmettre des informations à l’administration chinoise ou qu’elles faussent la concurrence. Avec la montée des tensions, il vient même d’être envisagé par l’administration américaine de sortir de la cote américaine les sociétés chinoises, les privant ainsi de l’accès aux financements en dollars et plus encore de la visibilité qu’offre Wall Street. Mais nous en sommes aux rumeurs.

 

6 – Faire capoter la place financière de Hong-Kong. En effet, plus grave et plus récemment encore, compte-tenu de ce qui se passe à Hong-Kong, l’idée a circulé de mettre fin au peg (lien fixe) qui relie le Hong-Kong dollar au dollar américain. Le dollar de Hong-Kong fluctue en effet dans une bande autour d’un taux cible de 1 USD pour 7,80 HKD (entre 7,75 et 7,85 HKD pour 1 USD, depuis 2005). En fait, « mettre fin » n’est pas possible du côté américain : c’est la monnaie de Hong Kong qui s’était accrochée à la monnaie américaine, pour renforcer la stabilité de la place financière, mais on peut rendre cette situation intenable. Ceci implique que l’autorité monétaire de Hong-Kong dispose d’assez de réserves en dollars américains pour maintenir le taux de change. Il est ainsi perçu sans risque, « comme du dollar ». De fait, le peg a été soumis à des secousses et aux crises monétaires, mais a toujours tenu. Actuellement, avec ce qui se passe dans le pays menacé par Donald Trump de ne plus être tenu pour une entité séparée de la Chine, le taux de change par rapport au dollar américain est à son minimum. Les autorités américaines peuvent ainsi continuer à inquiéter les investisseurs qui vendraient leurs titres et leurs autres actifs pour sortir du HK dollar et se retrouver, tranquilles, en dollars US ! Mais le Hang Seng a seulement perdu 10% depuis janvier et remonte peu à peu. On a donc le sentiment que les rumeurs américaines contre le peg s’atténuent. Et pour cause : après la place financière de Hong Kong, évidemment en grave danger, qui en souffrira le plus : Shanghai (qui peut en profiter) ou Wall Street ?

 

7 – La Chine a compris et se prépare. L’histoire n’est pas finie et va dépendre désormais des élections américaines. Avec Joe Biden, l’accent pourra porter davantage sur les libertés, pas facile, mais va demeurer pour les deux sur les questions de technologie. La Chine va moins investir aux États-Unis et, de façon générale, ralentir ses sorties de capitaux et ses prêts, notamment dans le cadre des routes de la soie. C’est là, avec ses investissements et ses crédits à des pays émergents fragilisés par la pandémie qu’est son point faible : elle le sait et va assouplir ses conditions.

 

8 – La Chine en faillite ? Nous n’y sommes pas : sur les trois premiers trimestres de 2019, elle enregistre un surplus de 140 milliards de dollars en compte courant (dont 340 de biens) et de 30 de capitaux, 170 au total, mais avec des erreurs et omissions, en sens inverse… pour le même montant. Pas de réserves en plus donc, bien sûr, presque pas d’or, bien sûr… Les États-Unis devraient plutôt renforcer leurs liens avec leurs alliés, notamment en matière d’innovations, que s’attaquer à une puissance certes opaque mais, surtout, qui joue de manière plus réfléchie et à long terme qu’eux.


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