De plus en plus de responsables de la BCE appellent à des stimulus fiscaux plus forts (et plus rapides). Ils ont raison et voilà pourquoi

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De nombreux responsables de la BCE plaident pour une relance plus rapide et des stimulus fiscaux plus importants. Faut-il s'inspirer du plan de relance déployé aux Etats-Unis ?

De plus en plus de responsables de la BCE appellent à des stimulus fiscaux plus forts (et plus rapides). Ils ont raison et voilà pourquoi

 

Atlantico : La réponse budgétaire à la crise jusqu’ici mise en œuvre par la BCE est-elle suffisante ? Pour quelles raisons ? 

Jean-Paul Betbeze : Aucune politique monétaire, même très « accommodante » comme on dit, plus une politique budgétaire, même hors-norme, ne peuvent suffire pour contrer le choc que nous vivons. C’est l’addition d’une pandémie particulièrement complexe, dans un contexte de tensions géopolitiques entre États-Unis et Chine, pour le leadership mondial, le tout en pleine révolution informatique. Tout s’empile, dans ce monde qui change.

En France, les milliards d’euros venus du budget français ont ainsi réduit le plongeon de l’activité, mais il a été particulièrement violent dans une économie trop peu liée à l’industrie, et largement aux services. Les soutiens ont ainsi soutenu l’offre et la demande, permettant à l’activité de repartir peu à peu. Les aides aux entreprises, par les crédits et les décalages de charges surtout, plus celles à l’emploi, à l’apprentissage et au chômage, ont escorté une économie qui a perdu -13,5% de son PIB au deuxième trimestre, avant un rebond de déconfinement à +18,5% au troisième, puis une nouvelle baisse de -1,4% au quatrième. Au total, la baisse du PIB a été de 8% en 2020 en France, après ces chocs.

Depuis, la reprise est poussive en ce début d’année, avec l’idée que la politique monétaire continuera ses appuis, puis le budget français, en attendant le programme européen, 950 milliards d’euros. Ils auront des effets notamment dans les pays les plus atteints (Italie), puis dans toute l’Europe. Ce qui se passe actuellement est donc un changement important des objectifs poursuivis : il s’agit plus de soutenir des changements et des réformes, par l’écologisation de l’économie, que la demande et les entreprises fragiles.

Plus schumpétérien que keynésien si l’on veut, désormais : c’est bien pourquoi le processus en cours est si long et coûteux. Il ne s’agit pas de savoir quand le PIB pré COVID-19 sera atteint mais comment et quand l’économie française s’adaptera et répondra au monde nouveau. Donc ce sera plus cher, lent et compliqué, affaire d’investissements, de formations, de changements et de fermetures.

 

Atlantico : Devrions-nous nous inspirer d’une relance à l’américaine ?

Jean-Paul Betbeze : L’économie américaine a été moins touchée parce que c’est une économie plus fermée. Ensuite, elle a rebondi plus vite parce que les entreprises y ont comprimé plus vite les emplois. Le taux de chômage a ainsi explosé, passant de 4,4% de la population active en mars à 14,8% en avril, puis redescendant à 6,2% actuellement, pour une part parce que des chômeurs ne cherchent pas d’emploi, inquiets de la situation.

Ensuite les politiques monétaires et budgétaires, de Trump à Biden, sont très puissantes. C’est le cas des 1 900 milliards de dollars de soutien, plan qui vient d’être adopté par le  Congrès, tandis que Jerome Powell, le patron de la Fed a indiqué hier qu’il ne monterait pas ses taux avant 2023. Rien de surprenant donc si le Dow Jones a gagné 15% depuis janvier 2020 et le Nasdaq près de 50%, contre 10% pour le DAX allemand et 1% pour le CAC 40 français.

Hélas, la France est moins souple et réactive, et n’a pas de GAFAM !

 

Atlantico : Selon certains observateurs de la BCE, des haut-responsables prônent une accélération. Y a-t-il eu une prise de conscience de l’urgence de la situation ?

Jean-Paul Betbeze : La BCE a déjà augmenté son programme de soutien aux États (PEEP, Plan d’urgence face à la pandémie), aux entreprises et aux banques (TLTRO – Targeted Longer-Term Refinancing Operations). Elle va continuer, mais en faisant attention. Pour acheter plus de bons du trésor et soutenir plus les banques, il faut qu’elle ait de « bonnes » raisons, donc que les nouvelles soient « mauvaises ». La BCE sait bien qu’elle est, encore une fois, poursuivie devant la Cour fédérale allemande. Même si elle ne relève que de la Cour de Justice Européenne, il ne faut vexer personne. Ensuite, elle va escorter les programmes européens, donc acheter plus de titres publics.

Pour en faire plus, il faudra donc d’autres raisons : outre les difficultés proprement européennes, plus une vive montée des taux longs qui pourrait franchir l’Atlantique, peut-être faudrait-il envisager un soutien spécifique à la décarbonation ? Il faudrait alors montrer que cette politique « sélective » est réellement « neutre » pour l’économie, sinon obligatoire, compte tenu de ce que veulent – outre les populations – les entreprises et leurs actionnaires – ce qui promet avec l’Allemagne (au moins !).

Attendons donc ce que propose cette revue stratégique, décarbonation plus réduction des inégalités, selon des axes souhaités par Christine Lagarde. Elle aura des effets massifs, non seulement en zone euro, mais plus encore aux États-Unis. N’oublions pas les critiques contre les effets inégalitaires de la politique de la Fed, ce qui nous renvoie à la montée des bourses américaines.


Atlantico

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