Les articles dans la presse étrangère se multiplient sur la manière dont la France et son gouvernement ont raté la gestion de cette épidémie. Et l’image autrefois étincelante d’Emmanuel Macron s’en voit heurtée...
Atlantico.fr : Les articles dans la presse étrangère se multiplient sur la manière dont la France et son gouvernement ont raté la gestion de cette épidémie.
Quels peuvent être les effets de cette perte de crédibilité sur l’industrie française ? Comment se traduisent-ils ?
Jean-Paul Betbeze : Que la presse étrangère critique la France et son gouvernement ne doit pas nous surprendre : toutes les presses dans les pays démocratiques critiquent d’autres pays et leurs gouvernements, plus les leurs ! Lisons par exemple la presse anglaise sur les problèmes de fonctionnement du NHS, NHS aujourd’hui encensé par Boris Johnson. Lisons la presse italienne, critique chez elle et aussi de l’Allemagne et des Pays-Bas. Lisons la presse américaine, critique de la lenteur d’arrivée des crédits aux PME. C’est partout pareil, sauf sans doute en Corée du Sud ou au Japon, par meilleure préparation et réactivité.
L’économie française a été frappée avec retard, n’ayant pas vu venir la menace (comme d’autres) et ayant pensé aussi (comme d’autres) que la réaction de l’illibéralisme chinois à Wuhan la protégerait. Nous avons suivi avec assez de soin les tergiversations (pour être polis) de l’OMS, tout comme d’autres. C’était « un autres SRAS », et la réaction, chinoise d’abord, serait suffisante.
Notre impréparation est mentale : nous avons oublié que les épidémies existent toujours, prennent l’avion et deviennent pandémies et que nos marchés financiers sur-réagissent. Dans ce contexte, les industries françaises, souvent mondialisées, n’ont pas le choix. Elles vont ouvrir dans les pays où elles sont implantées, et qui ouvrent. Ne pas participer aux rebonds est la pire perte possible de crédibilité : toutes les entreprises vont se précipiter pour maintenir au moins, sinon renforcer, leurs relations clientèles. C’est la vraie vie. Elles aideront ainsi les entreprises installées en France qui travaillent avec elles. Si la Chine et d’autres pays d’Asie repartent les premiers, ils limiteront ici le plongeon.
Bien sûr, ceci ne suffira pas : les soutiens publics et les crédits vont partout permettre de remonter la pente en France et en zone euro. Mais dans une période de guerre sanitaire, financière et économique, il faut tout sauf être surpris, inquiet, affecté par la guerre médiatique. Y répondre de manière technique et mesurée, y résister est notre meilleure réponse en termes de crédibilité.
La bureaucratie française en est-elle la cause principale ? Est-ce notre incapacité à réagir vite qui a eu raison de nous ? N’est-ce pas encore un mauvais coup pour l’industrie française d’avoir donné cette image d’une France bureaucrate, incapable de réagir vite ?
Jean-Paul Betbeze : Nous avons oublié la guerre, après 70 ans de paix, et avons partout développé des « statuts », croyant nous protéger, alors que c’est l’inverse. La ligne Maginot d’aujourd’hui, les protections statutaires, droits de retrait, « principe de précaution », souci de la biodiversité et autres luttes contre le réchauffement climatique… n’ont de sens que si les autres pays en font autant, avec les normes qu’il faut, globales et sans excès local.
La bureaucratie est toujours le succès des petit-chefs qui vivent en freinant déjà par temps de paix. Nous faisons face aujourd’hui, pour sortir de cette crise, à la possibilité historique d’une simplification-responsabilisation majeure, alors que d’autres forces (syndicales compte tenu de la crise des partis extrêmes) rêvent d’un arrêt total, prémisse à des nationalisations massives.
Notre incapacité à réagir vient au fond de la méconnaissance de ce qui se passe dans le monde et des tournants que prend la mondialisation, avec la capacité actuelle de croissance de la Chine et de l’Asie, et la révolution technologique en cours. Nous n’analysons pas l’essentiel, pris par l’accessoire, le secondaire, le fake que l’ennemi nous envoie ou que nous créons nous-mêmes. « La véritable école du commandement est donc la culture générale. Par elle la pensée est mise à même de s’exercer avec ordre, de discerner dans les choses l’essentiel de l’accessoire, d’apercevoir les prolongements et les interférences, bref de s’élever à ce degré où les ensembles apparaissent sans préjudice des nuances » écrivait Charles de Gaulle dans Vers l’Armée de métier en 1934. Ainsi, sans comprendre comment le monde change, nous n’osons pas demander d’efforts. Au nom de quoi le ferions-nous ? L’économie fait toujours payer les erreurs, et plus elle tarde, plus c’est cher : les 35 heures, la retraite à 60 ans, la montée des frais fixes publics frappent à notre porte. Nous ouvrons, le virus en profite. Il faut avoir le courage d’ouvrir les yeux.
Avec cette gestion de crise des plus critiquées, la France est-elle toujours audible au niveau de l’Europe ? Des institutions internationales ? Quels sont les conséquences de cette perte de crédibilité sur le rayonnement de la France dans le monde post-COVID-19 ?
Jean-Paul Betbeze : Aucun des chefs des démocraties ne sort indemne d’une telle épreuve. On reprochera à Emmanuel Macron d’avoir hésité, tardé, annoncé une date de déconfinement trop proche… Il va s’agir d’expliquer et d’avancer, pour la France et la zone euro. Ainsi, la demande d’Eurobonds était forte, difficile à absorber par la Hollande et l’Allemagne, mais ce qui a été obtenu (450 milliards sous des formes diverses) est déjà un financement mutualisé, et ce n’est pas fini. Loin de là : le rendement du bon du trésor à 10 ans italien est remonté à 1,9%. La France « se tient » à 0.04% et un CAC 40 à 4360 point, qui a perdu plus du quart de sa valeur depuis janvier mais semble avoir arrêté sa chute. La crédibilité du Président est certes affaire politique, mais ses opposants sont loin de proposer des alternatives construites : les critiques sont partielles, sans plan alternatif. Dans le cadre de la zone euro, tous les chefs sont faibles, notamment Angela Merkel. On oublie les risques du Royaume-Uni avec le Brexit et la nécessité de restructurer les appareils productifs, avec les champions européens. La crainte « anti champion » de Bruxelles va s’estomper.
La vraie question qui se posera sur la crédibilité du Président est sa capacité à ne pas trop s’éloigner du modèle mixte européen, social-libéral, pour une logique plus « sociale », avec ses coûts et rigidités, donc perte de compétitivité. L’enjeu de crédibilité d’Emmanuel Macron va donc être de retrouver le dosage économique et politique qui l’avait fait élire, et de voir comment il traitera les dossiers « repoussés », notamment celui des retraites. Aller vers des choix plus limités sera une bonne chose, mais le temps n’est plus trop aux réformes. On verra ce qui se passe avec Air France ou Renault, quels liens auront lieu avec des groupes industriels ou financiers allemands. Etre patron n’est pas être rigide mais de retrouver son cap, quand il a fallu s’en éloigner. Ce sera très difficile et c’est là que tout le monde l’attend et, à l’heure actuelle, il semble que les grandes et moyennes entreprises sont prêtes à résister. Au fond, en France comme ailleurs, la crédibilité des politiques vient largement de la force des entreprises !
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