Ces discrets pièges à retardement de la primaire populaire

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Du 27 au 30 janvier, il vous sera possible de participer à un vote électronique pour désigner « la personnalité la plus à même de porter les valeurs écologiques, démocratiques et sociales et de rassembler autour d’elle pour l’élection présidentielle de 2022 ». Rien de plus facile, selon le site : « l'inscription au vote est gratuite ».

Ces discrets pièges à retardement de la primaire populaire

Pour vous inscrire, et à des fins de vérifications anti-fraude uniquement, merci de bien vouloir vous munir de votre téléphone portable, d’un accès à votre adresse email, ainsi que d’une carte bancaire française ». De mauvais esprits pourraient se demander pourquoi faut-il une carte bancaire française, puisque « l’inscription au vote est gratuite», mais ce serait inélégant. D’autres, mal intentionnés, noteront que cette procédure, si ouverte, se prête à tous les détournements, par exemple celui de voter massivement pour Christine Taubira avec la meilleure note, elle qui vient de se décider à se présenter à la primaire, pour faire partir Hidalgo et affaiblir Jadot. Jadot qui, sans Taubira, était peut-être celui que les promoteurs de l’idée voulaient soutenir ! En politique, on ne sait jamais.

Pourquoi, cette « Primaire » ?Parce que « refaire » 1981 étant impossible, il fallait faire l’inverse. On l’a compris, le temps presse et il est inimaginable que le système des partis, fracturé comme jamais à gauche, parvienne à une nouvelle Union derrière un Programme commun, autrement dit après lui. Il s’agit donc aujourd’hui, selon le site Primaire populaire, de réunir des « citoyennes et citoyens déçus ou malmenés pendant les cinq années du mandat d’Emmanuel Macron (et souvent les précédents) » qui cherchent une « méthode pour gagner », car ce sera « 2022 ou jamais ». Cette « méthode » est l’inverse de 1981 : l’Union fera le Programme, autrement dit le précèdera. On pourrait se demander alors ce qui n’a pas marché en 1981 : les 35 heures, la retraite à 60 ans. Mais ce serait, là-aussi, inélégant. Peut-être l’électorat de 1981 se soucie-t-il désormais du financement de ses futures années de retraite, payées à crédit, sachant que l’Ile Seguin de Renault, abrite aujourd’hui un musée ? Mais ce serait plus inélégant encore.

Qui, avant quoi ? Car il faut des noms célèbres pour obtenir un grand nombre de votes. Des grands noms, avec peu de chiffres, pas de simulations, donc pas de programme classique, mais un « Socle commun ». Sous la poussée populaire, ces noms fédéreront les groupes politiques, qu’ils le veuillent ou non, selon les 10 propositions du « socle ». Parmi elles : « l’accès pour tous et toutes à une alimentation saine pour nos corps et la nature », « un volume minimum gratuit pour l’eau, le gaz et l’électricité avec une progressivité des tarifs pour les ménages (pour financer cela sans augmenter les impôts) », comme si cette hausse des tarifs n’était un impôt (!), « des investissements dans le système hospitalier et les métiers du soin » et « des modifications de notre système politique pour recréer la confiance et avoir une vraie démocratie où on se sent toutes et tous écoutés… ». Comment être contre, tant ceci est jeune, vague, généreux et gratuit ? Mais, diront les grincheux, c’est hors sol. Mais aucun économiste de métier ne signera, sans hypothèses de croissance, de taux, d’inflation, de salaires, d’emploi, mondiales, américaines, européennes et françaises, et sans mesures quantifiées. Sauf s’il s’agit d’imposer une « démocratie directe » à la démocratie indirecte des partis et des systèmes électoraux sur laquelle repose notre société. Ceci pourrait susciter des risques d’instabilité et de vagues populistes, et non « populaires ».

Pourquoi faire ? Un Parti travailliste et écologiste « réalo » ? S’agirait-il de faire naître, par cette « autre primaire » avec Taubira, un mouvement de gauche classique modéré, PS + PRG (avec Christiane Taubira), devant Mélenchon, faute d’avoir pu capter les voix écologistes et communistes ? Un Parti écologiste « réalo », pour reprendre le mot allemand, réaliste, opposé à « fundi », fondamentaliste, pour ne pas dire idéologue ? Mais il faudrait que les écolos endossent le bouleversement économique et social qu’ils amènent, avec des arrêts d’activités, des mises au rebut (d’automobiles par exemple), des investissements de renouvellement et des formations massifs, dans un contexte européen et géopolitique compliqué. Le Vert est très exigeant. Faut-il refuser le nucléaire ? Et que deviennent les mesures européennes de cybersécurité et d’armement ? Moins ou plus ? Aucune réponse encore : nous ne sommes pas en Allemagne.

Et combien de votants, de candidats et comment être élu ? 300 000 votants à ce jour, mais le chiffre va monter. Elu/e ? On peut figurer au « jugement majoritaire au mérite » de la primaire, sans vouloir y être. Dix candidats ont été désignés l’an dernier par les organisateurs de ce vote : Hidalgo, Mélenchon, Jadot, Taubira, Marchandise, Agueb-Porterie, Giraud, Autain, Ruffin et Larrouturou. Mais comme Giraud, Autain et Ruffin ne sont pas candidats à la présidentielle, sept demeurent en lice, dont Jadot et Mélenchon, qu’ils le veuillent ou non. Mais, devant l’absence de Jadot et, sans doute aussi d’Hidalgo, Pierre Larrouturou est entré en grève de la faim « pour appeler à une candidature unique à gauche ». Il est peu probable que cette dramatisation change les choses, sauf renforcer Taubira.

Elu/e au « jugement majoritaire au mérite » ? Oui, c’est la nouveauté technique. Ce vote au mérite, proposé par deux mathématiciens français, Michel Balinski et Rida Laraki, se passe dans un seul tour. Il s’agit de noter chaque candidat (Excellent, Bien, Assez Bien, Passable, Insuffisant, A rejeter – ce qui correspond aussi à « non exprimé »), puis de classer toutes les notes par ordre et de voir où se situe, pour chaque candidat, la note du milieu, puis de la comparer à celle des autres. En théorie, il s’agit donc de choisir le meilleur de tous, pour tous.

Christine Taubira, vainqueur vraisemblable de cette « primaire populaire » qui est en fait un jugement sur les personnes, faute de programme précis, va-t-elle créer un mouvement, comme « En Marche » ? Peu probable : le temps manque, les partis risquent de ne pas apprécier. En ce cas, il faut qu’elle écrive un programme écologique et social certes, mais aussi économique et militaire, pour la France dans l’Europe et le monde tels qu’ils sont. Sera-ce « populaire » ?


Atlantico

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