Bourse : comment traiter « le pire » ?

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Bourse : comment traiter « le pire » ?

Depuis le début de la guerre menée par la Russie à l’Ukraine, les marchés financiers vont du haut et du bas, au gré notamment des discussions diplomatiques. Jean-Paul Betbeze explique pourquoi, au-delà des drames humains, les bourses restent dans l’expectative.

Ukraine : que va-t-il se passer en bourse, en prenant évidemment une approche économique et financière, et non pas morale ? Pour répondre à cette question, les boursiers connaissent le dicton des « bons comportements » en cas de crise grave : « acheter au son du canon, vendre au son du violon ». C’est une maxime de contrariant par excellence, puisqu’il s’agit d’aller contre le flot des vendeurs quand la guerre est là, pour acheter moins cher alors qu’ils vendent à n’importe quel prix, pour ensuite revendre eux-mêmes plus cher à la masse des acheteurs ragaillardis, la paix revenue. Cet enrichissement rapide suppose des nerfs solides et, chez l’acheteur, des liquidités abondantes ou un accès au crédit. Surtout, il s’agit de « canons », donc d’une guerre qui nous renvoie au passé. Et aujourd’hui ?

Aujourd’hui, les canons sont en général utilisés entre pays « non dotés » (de l’arme atomique). La « montée aux extrêmes » de la guerre, théorisée par le cher Prussien Clausewitz, est donc bornée par le haut, ce qui conduit à des combats  « classiques ». D’où les canons, les avions et les tanks. Ces « canons » sont meurtriers et sanglants, mais rien à voir avec la bombe nucléaire. Alors, les calculs de pertes que vont faire les marchés, seront fondés sur les coûts des dommages et des reconstructions, en fonction des dons et des prêts espérés. Et la bourse se mettra à travailler.

Mais ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine est différent. La guerre, non déclarée, oppose une puissance dotée (la Russie), avec sa très importante armée classique, à une Ukraine très affectée par les attaques russes et disposant de moyens mesurés. En sens inverse, les sanctions américano-européennes contre la Russie sont là, plus les matériels militaires des voisins et des USA. Au-delà des drames humains, les bourses restent encore dans l’expectative.

La bourse de Kiev est fermée, ne pouvant fonctionner. Il en est de même pour celle de Moscou, fermée depuis le 25 février, début de l’invasion. Au début, l’Etat russe s’était engagé à tenir ses cours, mais il se mettait alors en risque de « tout acheter » devant la débâcle boursière qui commençait : intenable. Ici, après la hausse des taux de la Fed le 16 mars, les bourses ont baissé de 4,8% environ depuis début février aux États-Unis, de 6,2% en Allemagne et 5,6% en France.

Si on n’entend pas le son du canon boursier à Kiev et à Moscou, puisque les bourses y sont fermées, on n’y entend pas non plus le son du violon, puisque la guerre continue, mais plutôt divers sons, avec les annonces de discussions, lancées puis interrompues. Chaque fois les bourses se reprennent, puis baissent, mais moins, suivant la baisse des « exigences russes » et les « acquis ukrainiens ». Pour les marchés, le point de risque extrême est passé, la combinaison russe « canons + violons » ouvrant la voie à des « concessions ukrainiennes », avec des garanties sur ce qui restera du pays.

Bien sûr, ce qui se passe n’est pas «  juste », mais obéit à une triple logique :

–    Les bourses ne savent pas évaluer le risque atomique, qui annihilerait tout : les « canons » ne sont pas nucléaires. Face au scenario du pire, les marchés passent à un autre, mesurable. C’est pareil pour la « faillite » annoncée de l’Etat russe, intégrée sans être vraiment crue ;

–    Les bourses évaluent alors les dommages collatéraux sur les États-Unis, l’Allemagne et la France. Les États-Unis devront monter leurs taux, donc décélérer, mais pour calmer une inflation interne, tenant aux salaires et à l’énergie, énergie qu’ils produisent : au total pas si grave. L’Allemagne se trouve dans une situation plus délicate, avec 5,1% d’inflation, ce qui n’est pas fini pour elle, étant dépendante du gaz russe et ne voulant pas prolonger la durée de vie de ses centrales nucléaires, quitte à brûler plus de houille. Sa compétitivité est en jeu, sans oublier l’importance de ses exportations vers la Russie et la Chine. Son excédent extérieur va baisser. La bourse l’a vu. La situation française est perçue comme intermédiaire : moindre sensibilité aux prix de l’énergie (nucléaire) et aux exportations industrielles, mais supérieure aux services et aux biens de luxe. Là aussi, le CAC 40 l’a vu, sachant que la hausse des taux par la BCE sera inférieure à celle de la Fed.

–    Enfin, viendra l’après-guerre d’Ukraine, avec des reconstructions, financées par un Plan Marshall : les bourses aimeront. Bref des « violons », avec cette première hausse des taux de la Fed.


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