Banques et agences bancaires : chronique d’un carnage annoncé

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Face à la crise et suite aux injonctions de la BCE, les concentrations de banques se multiplient. Jean-Paul Betbeze revient sur ce phénomène et sur cette situation inquiétante pour le système bancaire.

Banques et agences bancaires : chronique d’un carnage annoncé

 

Qui veut la mort des banques et des réseaux d’agences ?

Ils sont nombreux : la concurrence, les nouvelles technologies et les Fintech, la faible croissance, la très faible inflation, les règles et les exigences de fonds propres, plus… la Banque Centrale Européenne ! Les bourses sont au courant : la Société Générale cote 12 euros contre 31 en début d’année, ce qui conduit son Président à dire « la valorisation actuelle de SocGen n’a aucun sens ». De son côté, la BNP est à 33 contre 54, CASA à 7,6 contre 13 et Natixis à 2,1 euros contre 4. Au mieux, la bourse valorise un euro bancaire à un demi-euro : 50% de dépréciation !

 

Mais ce n’est pas une surprise : voilà des années que les banques entendent, de la bouche même de la BCE, qu’elles sont trop nombreuses, pas assez rentables, trop fragiles et pas assez grandes, ceci devant expliquer cela. Voilà même quelques mois, le Gouverneur de la Banque de France expliquait qu’il souhaitait de grandes banques paneuropéennes. On comprenait l’idée : il fallait des banques plus grandes d’abord, qui répartissent leurs crédits et donc leurs risques dans plusieurs pays de la zone ensuite et qui poussent les autres enfin. Avec le COVID-19, les choses ne s’améliorent pas, même si les aides aux banques continuent, de la part de la BCE. C’est aider, pour aider à concentrer. Andre Enria, le superviseur en chef à la BCE, leur a ainsi demandé de se renforcer, de repousser leurs dividendes, de mener une étude sur leurs portefeuilles de crédits, d’optimiser, leurs structures – avec les coûts que ceci implique, de se défaire de leurs crédits « compromis » – avec les pertes que ceci occasionne, et de se préparer à des regroupements. On aura compris qu’il ne faut pas attendre de lui une quelconque douceur  liée à la dureté de la conjoncture : elle n’aura lieu qu’en cas de mariage ! Ajoutons ici l’intérêt des « badwills », quand une banque en achète une autre moins cher que sa valeur nette : c’est un « profit ».Un « profit » qui compense en partie les coûts de l’opération, en bonne partie quand Intesa rachète Unibanca dit-on, ce qui montre aussi le délabrement du secteur.

 

Evidemment, les banques voient le danger s’approcher depuis des années. Alors elles se réunissent et se regroupent surtout les petites et moyennes, pays par pays. Ainsi, en Italie, pays aux nombreuses banques médiévales avec leurs « crédits non performants » bien connus et encore loin d’être apurés. Ce sont Intesa et Unicredit qui aident à structurer le secteur, sans réaction politique hostile, Crédit Agricole préférant y tisser sa toile avec des achats de petite taille. En Espagne, après le mariage de Caixa et de Bankia, voici le rapprochement entre Unicaja et  Liberbank.  Ceci sans compter les bruits sur Commerzbank et Deutsche Bank, mais sans compter surtout les banques coopératives et les caisses d’épargne, très nombreuses et souvent opaques de l’Allemagne, et souvent très peu productives.

 

La question, en France, est celle des concentrations entre les grandes banques, au moment même où le réseau HSBC est en vente. Ce qui parait assuré, c’est que les réseaux vont continuer à se réduire, les agences n’étant pas visitées par les jeunes : il y aura des fermetures entières ou partielles, en fonction des horaires. En même temps, les DAB vont se réduire, l’utilisation des chèques continuer à diminuer et celle des billets baisser encore, attaquée en plus par le virus. Bref la logistique de l’industrie bancaire est en question : les banques ne gagnent pas leur vie avec les comptes et avec les crédits (1,15% pour les crédits d’équipement aux entreprises, à 8 ans et à taux fixe pour 84% et 1,3% à l’immobilier). Leur solution est le conseil et les produits sophistiqués pour les entreprises et la gestion de l’épargne pour les particuliers. Mais, là aussi, les frais se heurtent aux faibles rendements des obligations (pour être poli) et aux performances boursières (pour l’être plus encore). Donc : la taille, et l’on voit ce que donne le poids mondial d’Amundi, modèle à suivre. La concentration des fabricants de produits financiers va se poursuivre, produits qui seront ensuite vendus dans les divers réseaux : c’est la forme rampante de la concentration : quelques producteurs mondiaux, des réseaux de pure distribution.

 

Et c’est alors qu’arrive le crypto-euro, dans votre téléphone ! C’est une monnaie électronique, lancée par la Banque Centrale Européenne, et qui va s’y loger ! La BCE vient d’annoncer qu’elle y pensait beaucoup et la Banque de France, avant le COVID-19, voulait lancer un test fin 2020. Le crypto-euro n’est ni un billet ni un compte en banque. Ce sont des lignes dans une application (sécurisée) de votre portable. Ainsi, sans compte bancaire, nous pourrons bientôt avoir un compte en crypto-euro, pour gérer notre épargne (plus tard) et, dans un an, pour acheter et vendre, dans les commerces notamment. Ce sera immédiat, quasi-gratuit et très sûr, puisque géré par une instance dépendante de la Banque Centrale ! Il ne fallait plus que cela !

 

En fait, la BCE est à la manœuvre : elle veut que les taux baissent, pour faire repartir la machine par l’endettement des entreprises et des particuliers. Elle veut que les ménages épargnent moins et achètent plus de titres, pour financer les entreprises, surtout les PME et les TPE. Cet argent électronique pourra le faire tout de suite, en achetant par 100 ou 200 euros (par exemple) des « titres » qui les financeront, répartis ensuite par des experts, avec des promesses de rendement qui dépasseront les bons du Trésor : -0,2% ! Et si la déflation menace, comme il n’y aura bientôt plus de billets, la rémunération des comptes courants sera négative ! Libre aux clients d’avoir des comptes bancaires, qui devront s’ajuster, avec des taux négatifs aussi !

 

Horreur bien sûr ! Mais le crypto-euro est à la porte, arme secrète de la reprise économique pour la BCE, et les portes des agences seront bien moins nombreuses dans les quelques grosses banques paneuropéennes qui subsisteront. Mais nous aurons nos comptes dans notre téléphone !


Atlantico

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