Machiavel : Bravo et une question, cher Président. Bravo, pour avoir dissous le Parlement par ce décret du 9 juin. Une brillante tactique pour repartir sur de nouvelles bases. Plus encore en provoquant la réplique, brillante aussi je l’admets, de Mélenchon avec son NFP, Nouveau Front Populaire. Il voulait bloquer le Parlement contre vous, il deviendra infréquentable : vous le découperez. J’avoue que je reconnais, chez vous, quelqu’un qui a travaillé sur mes écrits, contre cet adepte de Trotsky. Voilà donc deux duellistes qui ont de bonnes lectures ! Mais une question : pourquoi ce Bayrou ? Croyez-vous qu’il va dire « Matignon vaut bien de risquer une veste », comme vous dites aujourd’hui ? Je crains ce Béarnais plus têtu et animé par la morale qu’Henri IV ne l’était par le pouvoir. Compliqué à gérer.
Macron : Merci de l’analyse, cher Maître en complexité ! D’abord, comme je l’ai dit à la télévision, c’est notre façon d’envoyer des messages, « je n’ai pas été compris », avec cette dissolution. Certains « experts » y ont vu un début d’autocritique : c’est mal me connaître ! Il s’est en effet agi pour moi de sortir de ce guêpier dans lequel je m’étais fourré, ceci je l’avoue, en n’analysant pas d’assez près ma réélection comme Président. Plus étroite que la première, elle manifestait une inquiétude du « peuple », devenue colère. Mes candidats ont été mous pour sauver leurs sièges, tandis que Mélenchon, lui, a offert à ses adorateurs-élus la façon d’éviter le chômage : le suivre. Il me surprendra toujours ! Ensuite, je me suis trouvé devant une Chambre divisée en trois, où aucune addition des sous-parti(e)s ne pouvait faire majorité, mais où une addition de deux des trois parti(e)s pouvait me mettre en minorité. Du guêpier, me voilà pris au nœud gordien des lignes rouges ! Alors, j’ai joué un coup à droite, puis maintenant au centre.
Machiavel : J’ai compris. La suite paraît simple, en théorie : il faut subdiviser pour recoller, sans casser. C’est là le difficile !
Macron : Oui, il faut que tout change pour que rien ne change. L’idée a d’abord été de « déconstruire » ce petit groupe droitiste, qui rêve de son glorieux passé avec plusieurs Présidents, en lui offrant une renaissance alors qu’il est au bord du gouffre. Un petit succès. Puis je continue, avec un groupe plus gros, dit Socialiste, mais en passant par Pau, le centre. Ralliés à Mélenchon pour éviter la pauvreté de n’être plus députés, mais malheureux d’être avec lui, j’offre à certains une situation financière identique et moralement moins pénible. On verra.
Machiavel : Diviser pour régner, toujours !
Macron : Plus exactement, appâter pour subdiviser sans humilier, en les gratifiant, mais ils ne règneront pas ! La plupart des politiques sont des cadres moyens qui vivent comme des cadres supérieurs, croyant leurs mérites enfin reconnus. Ils ont oublié d’où ils viennent et jurent qu’ils n’ont pas changé : il faut les conforter dans ce sentiment…
Machiavel : Mais le Prince se souvient de l’avoir été !
Macron : Il ne s’agit pas ici de Princes mais d’élus qui ne veulent qu’être réélus, pour avoir « une petite retraite ». Et, pour être réélu, il leur faut être adoubé par le chef de leur parti. Ils finiront par avoir un fief !
Machiavel : Mais tel ne fut pas votre cas !
Macron : Moi, j’ai créé une voie. Certains croient qu’il suffit d’être jeune ! En fait, il faut une opportunité plus quelques compétences et savoirs.
Machiavel : Vous avez raison, le pouvoir est toujours à prendre. Vacant veut dire : pas encore pris. Mais il use, d’autant plus qu’on ne peut plus tuer ou empoisonner, me dit-on.
Macron : Je confirme, le pouvoir mithridatise.
Machiavel : Attention aux doses !
Macron : Ce que je vis, c’est une complexité croissante des situations. De votre temps, il y avait moins d’intervenants, sur un espace plus petit. Mais ce sont toujours les mêmes ruses et fausses nouvelles qui servent, serments et mensonges, places, titres, argent, réseaux, sexe. Plus d’acteurs qui ont, chacun, autant de manœuvres disponibles qu’avant, mais sans dague ni poison. C’est la politique d’aujourd’hui.
Machiavel : Plus la guerre. Tout finit avec elle, jusqu’à la ou les paix, et ainsi de suite.
Macron : Oui ! Avec plus de guerres mêlées et lointaines qu’avec vos archers.
Machiavel : Mais il s’agit toujours de tuer et de ruiner !
Macron : Oui, avec moins de temps, plus de traités et règles à bafouer, plus de crédits et d’armes, et maintenant de mercenaires.
Machiavel : Vous me rajeunissez.