Nous sommes désormais en pleine gérontocratie planétaire, ce qui ne va pas sans risque. Nés dans le baby-boom de naissances de l’après-guerre, ces plus de 70 ans nous dirigent et sont toujours en forme (apparente), car bien suivis. Conséquence : dans ce monde qui change plus vite que jamais et devient en même temps plus instable, le pouvoir se concentre auprès d’une poignée de septuagénaires, les rejetons de ce sursaut vital. Ils dirigent encore les plus grands pays et entendent bien continuer : Lula du Brésil a 78 ans, comme Trump d’Amérique, Modi d’Inde 75, Poutine de Moscou 73, Xi de Pékin 72, Erdogan de Constantinople 71. Dans leur esprit, tous mesurent les années qui les séparent de leur réélection, sauf s’ils ne peuvent vraiment pas changer la constitution et rêvent, pour eux-mêmes, d’avancées de la médecine. L’âge est leur commun ennemi. Tous entendent durer, repousser les limites de la biologie. Ils ne veulent pas voir, ou savoir, que leur mémoire ou leur attention s’estompent, tandis que les membres de leur entourage ne leur diront jamais d’arrêter : leur propre confort de vie en dépend. Les septuagénaires attendent donc d’être octogénaires. Pour mémoire, Abbas a 89 ans.
Pourtant, les démocraties bruissent de rumeurs. Ronald Reagan a beaucoup inquiété quand, encore président, il oubliait des noms, se trompait de titres ou prenait de longs week-ends. Joe Biden montrait de nombreux signes de fatigue mais se représentait quand même à l’élection, au moment même où il ne pouvait plus cacher son état. Or c’était trop tard. Dans ce club, Donald Trump détone le plus. Il inquiète par sa marche et la violence de ses réactions, toujours surprenantes. Des « experts » analysent la pauvreté croissante de son vocabulaire, la profusion de ses hyperboles et superlatifs, notent ses erreurs et lapsus, ses mots maltraités ou qui suivent des noms voisins (paraphasie phonémique), ses longs discours sans plan (écouter celui de l’ONU). Ils prennent des tangentes (tangentialité), sans revenir au point de départ. Ses histoires mêlant vrai et faux (confabulation) sont peut-être des symptômes de démence sénile, comme son film, en jet et couronné, où il largue la… boue sur ses concitoyens qui manifestent ! Certains en profitent, parlant de narcissisme malfaisant (malignant narcissim), forme extrême qui combine personnalité antisociale, agressivité et sadisme. Beaucoup lui en veulent de ne pas forcer la Russie à signer la paix avec l’Ukraine, en y envoyant des Tomahawk, s’inquiètent des villes américaines qui reçoivent la Garde nationale ou des hausses des droits de douane. Peu louent les succès de ses foucades, par exemple au Moyen-Orient : quand il agit, il agit fort. Mais son narcissisme est sa faiblesse. Poutine l’a compris avec ses raisons « intelligentes » pour s’opposer aux demandes de Zelensky : plus de conditions pour la paix ou « faiblesse » des stocks américains en Tomahawks.
Évidemment, on ne trouve pas ces analyses dans les régimes illibéraux. « Ici », les experts analysent les messages et discours, intonations comprises, venant de « là-bas ». Ici, parce que c’est leur job, ils commentent les photos, les poignées de mains, sans oublier, mais comment les interpréter, les « nouvelles » sur Poutine et ses multiples cancers, plus toutes celles, de mieux en mieux fabriquées et surprenantes, adaptées et diffusées à des publics choisis. Partout, les vieux dirigeants sont entourés de commentaires, biaisés et intéressés, qu’ils expédient.
Nous, nous devons faire attention aux ruses et aux surprises de l’histoire, pour continuer à agir dans le sens du progrès scientifique et de la démocratie, même si les deux ne marchent pas ensemble. Aujourd’hui, la concentration des pouvoirs médiatiques, militaires, économiques et démographiques est sans égale. Ceci en pleine révolution technologique, notamment en matière d’armements.
Ceux que l’on appelle « boomers » s’accrochent au pouvoir, freinant le passage aux quadras et quinquas qui attendent. On peut comprendre leur hostilité au « dégagisme » qu’ils ont eux-mêmes mené en leur temps, il y a cinquante ou soixante ans. On peut penser que les générations passées n’ont pas que des défauts, et craindre ces « jeunes » qui veulent tout changer. Mais quand ces boomers s’accrochent à leur révolution et que les générations X ou des « milléniaux » crient que le temps s’ouvre à la leur, la société peut faire… boum. Courage, vieux camarade, un meilleur monde est peut-être devant toi !
