Inconscients, masos, patriotes, spéculateurs ?
Dette publique française : comment qualifier ces acheteurs des 270 milliards d’euros de nouvelle dette de 2023, sans les vexer ? Merci à eux quand même : ils ont permis de boucler le budget, avec ses 170 milliards d’euros de déficit et de rembourser les 100 milliards qui arrivaient à échéance. Ceci a évité de gros problèmes et permet de continuer… à nous endetter. Fin avril 2024, le déficit budgétaire atteignait ainsi 92 milliards, contre 84 un an avant. Les agences de rating s’inquiètent, Bruxelles enquête, en attendant le(la) nouveau(elle) locataire de Matignon. Pas de surprise, donc, si les enquêtes auprès des ménages et des entrepreneurs trahissent aujourd’hui des inquiétudes plus politiques qu’économiques.
Et les dettes publiques chinoise et américaine ? Oubliées ? Non bien sûr : les ralentissements américain et chinois pèsent sur les marchés. Mais la dette publique chinoise, égale à 82% du PIB du pays, le deuxième du monde quand même, est entièrement en mains nationales, pour ne pas dire : du parti. Ce n’est pas de lui que viendra la spéculation !
Pour s’inquiéter, vient donc la dette publique des Etats-Unis. Elle pèse 122% du PIB, le premier du monde. Elle est pour moitié en mains privées et un quart en mains publiques. Restent 7500 milliards de dollars en mains étrangères. Cette masse est très importante, non par sa seule taille mais par sa liquidité, autrement dit par son instabilité politique. Le reste de la dette américaine est en effet surveillé pour des raisons politiques aussi, mais internes.
Et la dette publique japonaise ? Elle inquiète toujours beaucoup, atteignant 2,6 fois le quatrième PIB du monde, soit 11000 milliards de dollars ! Mais étant détenue à 90% en interne, 1100 milliards « seulement » sont extérieurs. Ouf !
Revenons à la dette publique française égale à 111% du PIB : c’est beaucoup. Mais détenue à 54% en mains étrangères, c’est pire.
Faisons donc les comptes : 7500 milliards de dollars de dette publique américaine en mains étrangères, plus 1500 de dette publique française, plus 1100 sur le Japon. Voilà 10100 milliards, liquides, dont dépend le monde à très court terme. Remarquons alors cette dette française qui a ces deux douteuses particularités d’être, par rapport à la taille du pays, importante et hors des frontières, pour devoir la réduire.
C’est alors qu’on peut se poser la question : mais pourquoi faire autant confiance aux États-Unis, au Japon et à la France ?
La réponse pour les États-Unis est évidente. Ils sont la première puissance en économie, finance, recherche, dans le domaine des idées, sans oublier la première armée du monde, ceci expliquant tout cela. Et le Japon ? Depuis la guerre qu’il a menée, et perdue, contre les États-Unis, il n’a pas d’arme atomique, mais la garantie d’un total soutien américain. Il est aussi le premier détenteur de bons du trésor américain (presque toutes ses réserves), au moment où la Chine vend les siens.
D’accord, mais pourquoi donc détenir tant de dette américaine ? La réponse est précisément nucléaire, ce qui montre les limites du fantasme sur la crise du dollar et son remplacement par le yuan. Mieux vaut le parapluie américain, pensent ses ennemis, même les plus farouches. Beaucoup veulent le réduire, ce qui n’a pas grand sens quand montent les tensions. Mais le risque majeur qui pèse sur l’hégémonie américaine est en fait… américain. C’est le protectionnisme MAGA (Make America Great Again de Donald Trump) ou la variante atténuée du Derisking de Joe Biden, qui subventionne les entreprises américaines pour qu’elles rapatrient leurs activités stratégiques, concentrant les risques sur son sol. Et pourtant on achète de la dette américaine, pourquoi ? Parce que c’est la mieux protégée de toutes.
Et alors, pourquoi acheter de la dette française ? Même réponse : la France est la seule puissance « dotée » (de l’arme nucléaire) en zone euro. On peut comprendre pourquoi Emmanuel Macron veut étendre la protection française aux voisins : raisons financières, car militaires ?
Deux dettes, deux monnaies, deux bombes : seulement ? Derrière les bombes des dettes américaine et française, il y aurait deux bombes nucléaires ? L’une pour garantir le dollar, l’autre l’euro, ce qui explique la mansuétude sur la dette française ? Attention : les secousses financières, sociales et politiques actuelles montrent qu’il ne faut pas abuser, surtout ici.