Si la politique américaine se fait au Nasdaq, la nôtre doit se faire à la bourse européenne

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 Si la politique américaine se fait au Nasdaq, la nôtre doit se faire à la bourse européenne

500 milliards de dollars

C’est, le 21 janvier, le montant de l’opération Stargate que lance Donald Trump. Il réunit à cette occasion le patron d’Oracle, spécialisé dans l’informatique à distance (le cloud), celui de SoftBank, le fond japonais et enfin celui d’OpenAI, la start-up d’IA générative. MGX, le fond des Émirats arabes unis est annoncé dans la file des promesses de milliards, tous pour imposer les États-Unis à la tête mondiale des infrastructures d’intelligence artificielle (IA).

Mais c’est, le 27 janvier, avec la baisse de la capitalisation boursière de Nvidia, que se perdent aussi (plus de) 500 milliards de dollars. C’est la suite de l’annonce choc, par la startup chinoise DeepSeek, de sa mise au point d’un produit qui se dit au moins aussi performant et bien moins cher que celui d’Open AI, fabriqué avec des puces plus simples que celles de Nvidia. C’est ce que les médias américains nomment un « moment Spoutnik », comme lorsque, le 4 octobre 1954, l’URSS met pour la première fois au monde un satellite en orbite, avant les États-Unis. Un mois plus tard, voilà la chienne Laïka à bord du Spoutnik 2 et, sept mois plus tard, le président Eisenhower lance la NASA. C’est la guerre froide des étoiles.

Il aura donc fallu quelques minutes pour effacer ce projet phare de Donald Trump qui devait se mettre en place dans les quatre prochaines années, avant que certains ne se demandent si ce DeepSeek ne serait pas un deepfake. Surtout, cet épisode montre la double lutte mondiale qui se joue désormais en termes d’innovations technologiques entre États-Unis et Chine, pour la domination effective et symbolique du monde. C’est la guerre froide des intelligences.

 

La politique à la bourse ?

On se souvient de la célèbre phrase : « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille ». Elle est prononcée le 28 octobre 1966 par le Général de Gaulle lors d’une conférence de presse, sachant que « la corbeille » d’alors réunissait les agents de change qui négociaient, accoudés, les grandes valeurs de la cote française. C’était physique et pas dématérialisé comme maintenant, où c’est immédiat, moins cher, global et surtout plus réactif à la hausse et à la baisse, autrement dit bien plus spéculatif, comme on vient de le voir.

La « politique à la corbeille », c’est devenu le risque d’une « démocratie » qui veut aller vite pour écraser ses opposants en voulant acheter ses « amis », sans prendre le temps d’élaborer une vision sur le temps long et donc sans convaincre. L’argent n’achète pas tout… longtemps. Il se gaspille dans des « coups », sachant que rien n’est possible sans confiance, une confiance qui vient de la crédibilité. La démocratie, c’est la force des arguments, pas l’argument de la force.

 

Pas d’omelette sans casser des œufs ?

C’est l’argument, qui se veut réaliste, du « pouvoir ». Pour changer, il faut faire changer. Et plus le changement voulu par les dirigeants est important, plus la coercition doit l’être. C’est cette logique que l’on retrouve dans tous les régimes illibéraux. C’est ici que les démocraties doivent faire attention, compte tenu des effets pervers, limites et coûts qu’entraîne tout changement brutal. C’est ici, plus encore, que l’on doit prendre en compte les stratégies des deux grands opposants, entre faits et ressenti, avec leurs effets quasi-immédiats.

Le risque majeur est que la montée des tensions ne conduise à casser plus d’œufs, pour continuer à filer la métaphore, ce qui veut dire cette fois les emplois, les entreprises, les structures publiques, bref : les vies. Or, il se trouve que les changements que nous devons mener, parce que changent les techniques, les climats et les rapports au sein des pays et entre pays, demandent plus d’adaptations, de mini-ruptures, donc d’œufs à casser, pour faire une omelette, c’est-à-dire une société.

 

Pour tous, la politique américaine ne doit pas se faire au Nasdaq, et la nôtre plus à la bourse européenne

Parlons clair : notre démocratie peut faire les frais de ces œufs qui se casseront entre les deux superpuissances, car c’est surtout ici que l’omelette sociale est fragile. Ayons le courage de nous renforcer, avec des salariés mieux formés dans des entreprises plus puissantes. C’est à la bourse que tout se jouera : parlons productivité, recherche, profit, avec une vision à long terme. Cassons nos propres œufs pour faire une bonne omelette, courageuse, démocratique et européenne !