Politique monétaire, salariale ou immobilière ?

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 Politique monétaire, salariale ou immobilière ?

La politique monétaire est-elle un appareil sophistiqué, avec chercheurs, équations et réunions solennelles, ou bien une mise en scène destinée à calmer les salaires et le prix du mètre carré ? Je crains que la réponse ne soit cette dernière. Il s’agit pour Christine Lagarde, patronne de la Banque centrale européenne (BCE), de monter ses taux d’intérêt pour modérer l’embauche, donc les salaires puis les prix, et de freiner d’autant la capacité des salariés à emprunter plus, pour pouvoir payer plus cher leur logement, avec le risque inflationniste qui va avec.

Bien sûr, nul ne s’exprimera aussi crûment, à la BCE ou à la Banque de France. Pourtant, répéter l’objectif de 2% d’inflation, en ajoutant : « à moyen terme », c’est vouloir imprimer l’idée que les gains de productivité sont seuls pour « bien » augmenter les salaires, car non inflationnistes. Mais ces gains sont surtout possibles dans l’industrie et l’agriculture, dont le poids dans le PIB ne cesse de baisser. Alors, pour agir, sachant que les services représentent près de 80% du PIB, il faut les séparer entre ceux liés à l’informatique, avec salaires et gains de productivité élevés (et diffusés) et ceux interpersonnels (restauration, hôtellerie ou soins). Pour eux, c’est la qualité qui importe, mais impossible à mesurer. Elle implique plus d’efficacité, moins d’erreurs, une demande plus satisfaite… donc plus nombreuse et plus de productivité, mais à terme. Pour cela, il faut plus de formation donc plus de dépenses, avec promotions à la clef. C’est difficile sans soutien budgétaire dans le public, sans formation publique et privée et sans concentration dans le privé, autour de chaînes. La politique salariale devient ainsi le volet décisif de la politique monétaire, à adapter aux services où la productivité est essentielle pour lutter contre l’inflation. Pas facile.

De son côté, la production annuelle de crédits à l’habitat baisse, de 225 milliards d’euros en 2021, à 238 en 2022 et à 135 l’an dernier. On dira que l’on trouve ici l’effet des hausses de taux longs, mais c’est oublier que la politique monétaire a toujours deux fers au feu : un contre l’inflation bien sûr, un autre pour la stabilité du système bancaire, qui peut être diminuée par des hausses de taux mal calculées. La crise immobilière de 2010, avec ces maisons inachevées sur les côtes du Portugal et de l’Espagne, a bien montré que des taux d’intérêt trop hauts faisaient plonger le logement, les banques, le budget avec en plus l’emploi. Quelque temps plus tard, on a vu, en sens inverse, que des taux trop longtemps trop bas faisaient certes repartir le secteur, l’économie et les prix, mais qu’ils engageaient les banques à prêter à taux fixe très bas, pour 25 ou 27 ans. C’étaient elles qui prenaient un risque majeur dans leurs comptes. D’où l’idée de surveiller les octrois de crédits immobiliers, en limitant à 35% du revenu le remboursement des ménages, leur « taux d’effort ». La politique monétaire avance donc sur deux jambes : le prix du crédit et aussi ses conditions presque administratives d’octroi, sachant que les crédits à l’immobilier pèsent près de la moitié de ceux à l’économie. Pas facile non plus.

On comprend donc pourquoi naît le « Haut Conseil de Stabilité Financière », qui n’a cessé de s’étoffer pour devenir « le célèbre HCSF ». Il a ainsi prévu une marge de flexibilité dans ses normes pour ne pas tout bloquer : 20% des nouveaux prêts accordés peuvent déroger à sa limite de 35%. On comprend l’idée : lutter contre le risque de chute, fréquent dans cette activité. Mais ce serait trop souple ! Il a donc calculé des « sous-enveloppes », où 70% des 20% de prêts « dérogatoires » (soit 14% de la production totale des prêts) iraient aux acquisitions d’une résidence principale, dont 30% (soit 6% du total) aux primo-accédants.

On pourrait alors se demander pourquoi la politique monétaire est ainsi encadrée en France, alors qu’elle est sensée être unique en zone euro. La réponse est double. D’abord, en zone euro, les banques financent bien plus l’activité que les marchés : 2/3 contre 1/3 aux États-Unis. Ensuite, un quart des crédits, ceux au logement, sont ici à taux fixe sur longue période, bien plus qu’ailleurs. Attention donc à elles !

Ici, la politique monétaire veut surtout éviter une boucle salaire-prix dans les services peu productifs. Elle ferait trop monter les taux au logement, mais sans vraiment le dire, tout en répétant « 2% ». Pas facile !