Notre monde occidental s’est bâti après la deuxième guerre mondiale autour de deux clubs. L’un pour reconstruire l’Europe en la gardant du fascisme et de l’URSS, l’autre en la protégeant militairement, sous contrôle américain. Ces deux clubs fêtent leurs 75 ans et doivent changer pour avancer encore dans un monde devenu méconnaissable, largement grâce à eux. Indispensable, pas facile.
Le club européen peut-il être satisfait de ce qu’il a fait ? Ce club, nommé l’Union Européenne telle qu’on la connait aujourd’hui avec 27 pays dont 20 partagent l’euro, naît le 9 mai 1950. Robert Schumann prononce alors son fameux discours du Salon de l’Horloge. « Le rassemblement des nations européennes exige que l’opposition séculaire de la France et de l’Allemagne soit éliminée ». Certes, poursuit le discours, « l’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait ».
La suite ne devait donc pas être tranquille, mais nul ne pouvait prévoir la succession de crises qui allait advenir : réunification allemande, fin de l’URSS, extensions de l’Europe… Une série de tensions multiples qui ont, en réalité, créé autant de « solidarités de fait » sans en faire une seule, comme Robert Schuman l’espérait.
N’empêche, 64 ans de paix jusqu’à l’annexion de la Crimée par la Russie : ce n’est pas si mal, compte tenu de tout ce qui s’est partout passé, souvent au bord du drame ! Et encore, ce n’est pas toute l’histoire, plus compliquée et surtout plus contradictoire, qui a défilé devant nous. L’Europe s’est techniquement et légalement renforcée, devenant le marché du monde le plus important et le plus protégé, ceci permettant cela et attirant les adhésions, et envies.
C’est là que l’essentiel a été oublié : cette « Europe Grand marché sûr » séduit et doit être protégée. Problème : « l’Europe Puissance », sous la forme de la Communauté Européenne de Défense, ce projet d’armée sous contrôle (américain) de l’Otan est enterré par un vote négatif du Parlement (français) le 30 août 1950. Quatre mois après le discours du Salon de l’horloge ! L’Europe se développe alors, par ses normes et sous parapluie américain, mais sans cotiser vraiment à sa propre protection. La France déploie sa bombe, le Royaume-Uni est parti. Tout se paie en Ukraine : le club européen a oublié de protéger ses succès, donc son futur.
De son côté, le club otanien, du haut de ses 75 ans, avec 32 membres, peut-il être satisfait ? L’alliance militaire naît le 4 avril 1949 aux débuts de la guerre froide et du blocus de Berlin, avec la triple idée de contrer les Russes, de surveiller les Allemands et d’obéir aux Américains. Depuis, on mesure que l’accord a fonctionné. Il se rapproche de la frontière russe en convainquant plus de pays de le rejoindre. La pression monte sur la Russie : plus de pays se vivent protégés d’un risque d’invasion quand ils rejoignent l’Otan, avec ce qui se produit actuellement en Ukraine.
En fait, au fur et à mesure que ces deux clubs s’étendent, la faiblesse de leurs garanties implicites augmente. Le club de l’Europe s’enrichit et attire, en se protégeant relativement moins lui-même. Il vit sous l’engagement de l’article 5 du club de l’Otan : « Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles… sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes ». Ceci vaut si chacun veut se défendre et s’engage à défendre quiconque est attaqué. Mais les membres de l’Otan ne cotisent pas, comme convenu, en fonction de leur richesse (2% du PIB de chacun), ce qui est plus un problème d’engagement que de dollars. Tous pensent aux États-Unis.
La double mécanique est alors enclenchée. Menace nucléaire côté Russie, si l’Ukraine rejoint le club de l’Otan, contre préparations et messages de réception côté Otan : les tensions montent. Parallèlement, l’Ukraine est appelée à rejoindre le club européen. Pour calmer le jeu, on dit que ceci prendra dix ans en supposant le pays en paix, sans oublier les candidats à l’adhésion.
Étrange monde libéral avec ses deux clubs. L’un, économiquement fort, hésite dans sa politique industrielle et dans son intégration bancaire et financière. L’autre, militairement fort, hésite à se donner les moyens de vraiment dépasser celui qui vient, le club BRICS+, sous ferme direction chinoise. Est-ce une nouvelle page de l’histoire ou la fin de notre démocratie ? Battons-nous pour unir nos clubs.