« Notre avenir dépend-il de la technique ? » ; « la vérité est-elle toujours convaincante ? » : on aura reconnu les deux sujets du baccalauréat de philosophie 2025. Je sais : ce n’est plus de notre âge. N’empêche : nous allons les traiter tous les deux ensemble, dans le fol espoir d’obtenir une note additive.
Notre avenir dépend-il de la technique ?
Il faut toujours se méfier du singulier. Il y a en effet des avenirs, comme il y a des techniques, les deux étant en partie liés. D’abord, il y a des techniques pour produire plus et mieux dans les champs et dans les villes, ce qui permet les progrès, les innovations, avec la multiplication et l’affinement des prestations, pour coller au plus près aux besoins, avec des prix tenus au mieux, sinon en baisse grâce aux gains de productivité attendus de l’Intelligence Artificielle et/ou de la Chine. Mais toutes ces techniques ont leurs revers : les engrais peuvent appauvrir les sols, les pesticides attaquer les abeilles et une part de la flore, les cadences user les salariés ou créer du chômage, cette fois chez les cols blancs.
On peut même dire qu’une bonne part de la recherche est devenue « duale », civile ou militaire, comme les vaccins et les armes biologiques, les lasers qui découpent des tôles ou qui forment des bombes. On en vient même à parler d’armes défensives et d’armes offensives, les mêmes techniques servant de plus en plus dans les deux camps opposés ! Tout dépend alors de leurs emplacements et des points de vue sur le conflit. On comprend donc que l’avenir est ouvert, façon polie de dire : incertain. Quant à « la » technique, elle dépend de ce qu’en feront les humains.
La vérité est-elle toujours convaincante ?
Plus encore ici, le singulier peut nous égarer. Qu’est donc « la » vérité, chacun étant sûr de la détenir, pour la défendre ? C’est même la tâche de chacun de convaincre autour de lui pour que « sa » vérité l’emporte sur celle des autres, dans la situation que nous vivons et qui est de plus en plus difficile à comprendre. Pourquoi donc cette difficulté croissante ? Parce que les hiérarchies sont de plus en plus instables, entre personnes, entreprises, pays. La fameuse phrase attribuée à Marx : « la preuve du pudding , c’est qu’on le mange », est victime de son matérialisme étroit, en un temps où le « ressenti » modèle le « fait », le subjectif interfère avec l’objectif. Convaincre, c’est imposer sa vérité : la maîtrise du discours et de la raison s’efface de plus en plus devant le pouvoir.
Aujourd’hui, il ne suffit plus de répéter ses objectifs et son programme, d’être seul à maîtriser les sources d’information et les médias, voire de tromper avec de fausses images et des narratifs inventés. Il faut plutôt renforcer la conviction des convaincus, étourdir tout le monde par la profusion des tweets, effrayer les opposants et contraindre au silence ceux qui « n’en pensent pas moins » mais qui, pour autant, ne s’en expriment pas plus. Il n’y a pas de vérité sans liberté ressentie.
Que devenons-nous ?
Si la technique ne dicte pas l’avenir et si la vérité ne nous convainc pas, nous sommes renvoyés à notre humaine condition, celle de l’incertain. Bien sûr, ceci ne nous empêche pas de prévoir, de planifier, de débattre et d’essayer de convaincre autour de nous, mais sans oublier jamais que ceci nous permet seulement d’avancer dans un terrain plus qu’hostile — inconnu. Savoir que nous ne savons pas, et surtout que nous ne saurons jamais : c’est le début de la sagesse.
Pourquoi poser ces sujets au bac ?
On peut alors poser cette question aux auteurs de l’épreuve, puisqu’il est impossible d’y répondre. Mais il faut aller plus loin que cette provocation, si l’on veut avoir une note décente. Par exemple dire que le fait que l’on ne peut savoir constitue, en réalité, la base de notre liberté : celle qui se construit en marchant. On devrait alors ajouter, au risque d’une autre provocation (on ne se refait pas !) que critiquer en permanence ceux qui osent, investissent et avancent n’a de sens que si nous proposons d’autres idées, voies et solutions. Le risque est, autrement, de se trouver bien seuls, tant la critique présente d’attraits pour ceux qui ont fait un peu de philosophie, mais sans jamais passer à l’action. Aimer la sagesse est sans doute une bonne chose, mais n’aimer qu’elle… est une folie.
Au fond, notre avenir ne dépend pas de la technique et la vérité n’est pas toujours convaincante. Heureusement que nous avons le pluriel !