SOS euro disparu : dédollarisation du monde ou dé-euroïsation ?

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Le processus de "dédollarisation" est souvent évoqué par les experts, mais les dernières données montrent avant tout qu'il y a une certaine "dé-euroïsation".

SOS euro disparu : dédollarisation du monde ou dé-euroïsation ?

Atlantico : Un certain nombre d’experts ont longtemps évoqué la “dédollarisation” de l’économie mondiale, un processus qui viendrait effacer le dollar de l’essentiel des échanges commerciaux de la planète. Pour autant, les dernières données du SWIFT témoignent plutôt d’une certaine “ dé-euroïsation ”. C’est bien l’euro qui semble disparaître des paiements internationaux. Comment expliquer ce recul ?

Jean-Paul Betbèze : Les « experts » mélangent peut-être deux dollars américains : le dollar qui sert dans les transactions commerciales (pétrole par exemple), avec celui qui sert dans les transactions financières (actions par exemple), le dollar de réserve. Ce dollar de réserve vient des Bons du Trésor que les Banques centrales des autres pays achètent pour gager leur propre monnaie. Autrement dit, le dollar de réserve qui vient du déficit budgétaire américain, est le support pour garantir d’autres monnaies, notamment des pays moins avancés. La confiance joue un rôle important non seulement dans les transactions, mais plus encore, on le voit, dans la monnaie de réserve.

Ce qu’on appelle, très rapidement : « dédollarisation » est en fait la moindre utilisation du dollar dans les transactions courantes, notamment du fait de la Chine et de la Russie qui évitent cette monnaie pour se soustraire à la surveillance et maintenant aux sanctions américaines. C’est en fait une action de très longue haleine que de faire naître une monnaie mondiale, car une monnaie ne devient mondiale qu’avec le temps et, pour être précis, qu’après une guerre gagnée. Le franc, mondial, a été remplacé par la livre sterling, mondiale, puis par le dollar mondial après la seconde guerre, mondiale.

La monnaie dominante est celle du dominant, dominant militaire d’abord, économique et idéologique ensuite. On oublie toujours que la monnaie vient d’un rapport de force militaire. Il a fallu des décennies pour que le dollar l’emporte sans conteste et fasse ainsi oublier la crise de 1929. S’imaginer que le Yuan va le déloger rapidement est donc impossible, ce n’est d’ailleurs pas ce que veulent les autorités de Pékin, qui désirent diluer son rôle commercial. Peu à peu la part du dollar baissera ainsi, minant son rôle économique, puis de monnaie de réserve, mais ceci se fera dans le temps.

Quant à l’euro qui baisse dans les transactions commerciales, c’est parce que la Chine et la Russie et autres pays utilisent davantage leurs devises dans leurs transactions bilatérales. Il n’y a donc pas de « dé-euroïsation » directe mais indirecte : c’est une conséquence.

 

Faut-il effectivement croire la “dédollarisation” du monde annoncée par certains économistes ? Ce phénomène vous paraît-il plausible ?

La « dédollarisation » du monde passerait par la crise du dollar monnaie de réserve, c’est-àdire par le fait que les banques centrales, les banques, les entreprises, les particuliers voudraient moins acheter de Bons du Trésor américains marquant ainsi leur défiance, non pas par rapport à la première économie du monde, mais par rapport à sa gestion budgétaire et politique.

Ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis, où les élus Républicains à la Chambre des Représentants n’ont cessé de menacer d’un défaut du pays, puis fait partir le Speaker de la Chambre, pourtant de leur bord, n’est pas là pour rassurer les marchés financiers. C’est effectivement irresponsable et le taux d’intérêt à 10 ans des Bons du Trésor américain passe à 4,8% alors qu’il était à 3,5% en mai ! La Banque centrale américaine a beau faire pour diffuser un message de sérieux contre l’inflation à 3,7%, avec des taux courts à 5,5%, rien n’y fait. Pour miner la confiance dans le dollar, ce n’est pas la peine de recourir à la Chine !

Plus profondément, la « dédollarisation » du monde serait une catastrophe, dans la mesure où elle impliquerait une hausse des taux à long terme, partout, donc une baisse de l’activité, une chute des bourses et une explosion du chômage mondial. On peut plutôt espérer, aux Etats- Unis et en Chine, des politiques plus rigoureuses dans la gestion des deniers publics. Ceci implique d’y soutenir la croissance et l’emploi, pour répondre au mieux aux dépenses futures liées pour l’essentiel au vieillissement de la population, à la crise climatique et à la dangerosité croissante du monde.

 

Quelle monnaie pourrait remplacer le dollar, en cas de “dédollarisation” ? Le Yuan, souvent évoqué, vous paraît-il assez solide compte tenu de la capacité de la Chine à s’endetter et des problèmes de stabilité politique en interne ?

Qui voudra acheter un Bon du Trésor chinois libellé en yuans ? Pour cela, il faudrait d’abord que la Chine en vende et donc accepte d’ouvrir son compte de capital. Or la Chine ne veut pas dépendre de l’extérieur pour sa politique budgétaire, ce qui explique d’ailleurs que l’on en sait si peu sur ses vrais comptes, sur le bilan de la Banque centrale, sur ses réserves, sur son or et sur l’état de son système bancaire, sans oublier les dettes sociales liées au vieillissement de sa population où le système de retraite est spécialement lacunaire.

Pour que le yuan devienne une monnaie mondiale, il faut donc que les autorités politiques le veuillent en étant plus transparentes, ce qui n’est pas encore le cas. Il faudra également qu’elles acceptent que les marchés financiers aient une influence majeure dans les décisions, et pas le Parti… Nous n’y sommes pas.

Ce qui se présente est donc un affaiblissement du dollar, largement imputable à sa gestion même, dont la Chine profite, bien sûr. Quant à l’euro, s’il monte parce que le dollar baisse, il faudra qu’il en profite pour améliorer sa gestion et baisser ses taux. Là non plus, nous n’y sommes pas. Sans guerre mondiale, nous avons donc un conflit latent des monnaies mondiales : l’une qui veut le rester, l’autre qui pourrait le devenir si elle le voulait. Nous n’y sommes pas, faute d’efforts dans ce monde fracturé.


Atlantico

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