Peut-on analyser les cryptomonnaies sans se faire insulter ?

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C’est la question que se pose l'économiste Jean-Paul Betbeze au regard des réactions suscitées par ses analyses sur le Bitcoin et autres cryptos.

Peut-on analyser les cryptomonnaies sans se faire insulter ?

D’accord, c’est le risque. Mais il faut quand même parler des drames les plus récents qui ont secoué le secteur ! SBF, pour Sam Bankman-Fries, l’ancien patron de FTX, troisième plateforme mondiale de cryptomonnaies quand même, mais en faillite depuis un mois, est arrêté le 12 décembre aux Bahamas. Il y résidait avec sa petite équipe, ce qui n’est pas désagréable, avant d’aller à New-York, plus froide, où les autorités l’attendent. Pendant ce temps, les clients de cette plateforme, on parle de 100 000 personnes (?), sont à la recherche des milliards de dollars qu’ils ont déposé pour acheter de ces fameuses cryptomonnaies : on parle de 240 milliards de dollars (?). Le titre de FTX, qui cotait 25 dollars le 10 décembre, est à 1,4. Depuis, d’autres plateformes nous ont quitté, on parle de Celsius et de Voyager Digital.

La secousse SBF-FTX est donc très forte et sans doute pas finie. Cependant, le Bitcoin, qui avait chuté de 17 000 à 16 000$ à cette occasion, se reprend peu à peu. Preuve qu’il n’est pas mort diront les cryptolâtres. Ne le critiquez donc pas, ne le mélangez pas avec ces jeunes inconscients qui jouent avec des milliards. Le Bitcoin est la nouvelle monnaie du monde, celle qui va libérer l’individu de l’emprise de ces quelques structures anonymes, celles qui sont aux mains de quelques-uns, cachées derrière la banque centrale américaine (la Fed) ou européenne (la BCE) et qui nous commandent.

Mais quand même, il ne faudrait pas oublier que le Bitcoin voguait vers 70000$ en novembre 2021. On retrouve d’ailleurs les mêmes chutes pour Ether ou Binance : après un tel effondrement, toutes ces « cryptos » se relèvent et rampent. Quelle résistance ! Elles se souviennent peut-être de leurs splendeurs passées et pensent être immortelles. Elles tournent alors toutes autour du Bitcoin, comme autant de satellites autour du soleil. Ce qui ne les empêche pas de rivaliser entre elles, pour se singulariser, autrement dit pour être achetées et monter plus ! Pas facile cependant de jouer perso : les cryptos montent et baissent ensemble, soumises à sa solaire attraction et aux news. Une attraction qui perdure, même quand une autre plateforme saute, comme BlockFi le 28 novembre, ou quand disparaît en un jour Terra/Luna, qui prétendait avoir un rapport stable avec le dollar et ne tient pas son engagement, ou même Diem en début d’année. Diem ? Ce fut son dernier nom : quelques années auparavant, en 2019, naissait le Libra, qui rêvait d’être cette fois la monnaie la plus stable du monde, donc supérieure au dollar. Mais elle doit battre en retraite : c’était trop, et les politiques américains ont vu le danger (pour leur pays) en frappant fort. Mark Zuckerberg, qui avait réuni 28 amis milliardaires sur ce projet, passe alors, rapidement, du Libra au Diem, puis de la Suisse aux États-Unis, puis de cette monnaie super-stable au dollar, puis du Diem à rien, en février 2022. Aujourd’hui, on attend ce qui va advenir de sa dernière idée : le Metavers et de la couvée de cryptos qu’il a engendrée.

C’est bien pourquoi écrire sur le Bitcoin et les cryptomonnaies est un exercice dangereux. Les analyser passant pour « les critiquer », c’est bien pire. C’est s’exposer à des missives vengeresses qui vous qualifieront d’incompétent, de largué, de peureux ou, pire que tout, de « mainstream », membre du misérable troupeau des soumis. Votre cas ne s’améliorera pas si vous essayez de raconter l’histoire du célébrissime Bitcoin, à la frontière entre l’informatique (Bit) et la monnaie (coin), même si « coin » est mensonger, car il ne s’agit pas d’une monnaie. Nimbé du mystère de sa naissance, lieu et nom compris, pimenté de quelques vols, paiements de rançons, trafics de drogues, le Bitcoin a l’attrait du risque de toute innovation majeure, à moins que ce ne soit celui d’une richesse rapide. Critiquer, en fait dire ce que sont réellement le Bitcoin et les cryptos, c’est s’en prendre à la pensée libertarienne, à moins que ce ne soit alimenter la crainte d’une nouvelle baisse de leur valeur ou l’idée que ces analyses vont freiner leur retour aux sommets de l’an passé. Qui sait ? C’est donc inacceptable !

Et pourtant, il faut bien dire que le Bitcoin n’a aucune contrepartie, pas d’or, pas d’économie, pas d’armée derrière : rien. S’il monte, c’est pour pouvoir être vendu plus cher. Spéculatif. On vous raconte qu’il n’y en aura pas pour tout le monde : 22 millions, sans vous dire ce que vous en ferez après, le plus probable étant que personne ne voudra se trouver dans cette situation, et donc s’en défaussera avant. Mais quand ? A qui ? A combien ? Vous pouvez donc vous inquiéter de tous ces milliards qui s’engouffrent dans ces coins non surveillés. On vous dira que SBF, Sam Bankman-Fries, était un grand donateur notamment au parti démocrate américain, et qu’il incitait les élus qu’il « aidait » à freiner l’idée de réglementer le secteur. On vous dira aussi qu’il n’y a rien à faire avec ces cryptos, qu’il faut les laisser brûler et punir ainsi ceux qui croyaient qu’il s’agissait de monnaies. Pas de police, pas de règles, pas de suivi : rien que la perte. Il n’y a pas de liberté sans responsabilité : méthode dure.

Non : tous ces jeux d’argent sont dangereux. L’histoire est pleine de ces promesses de gains rapides, cryptomonnaies aujourd’hui ou oignons de tulipe au XVIIème siècle, pleine de fausses monnaies avec leurs certificats. Pleine de la crise du free Banking, de l’Ecosse du XVIIIème siècle, avec pourtant les écrits d’Hayek et Friedman, favorables à la concurrence des institutions et des monnaies. En même temps, les banques centrales chinoise, bientôt européenne et américaine auront lancé leur monnaie digitale. On dit que la Russie avance à grand pas dans cette direction, qui évite les radars américains. La confiance ne se divise pas et le risque de confusion, plus ou moins bien intentionné, s’étend vite : il faut donc réguler plus rapidement et plus le secteur des cryptos, avant qu’il ne corrompe le dollar et l’euro – qui n’en ont vraiment pas besoin !


Atlantico

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