C’est en effet une véritable mise en accusation de la gestion américaine « depuis 20 ans » que publie Fitch, stigmatisant « l’érosion de la gouvernance » des comptes publics. Le dernier accord bipartisan entre Démocrates et Républicains, pour remonter à janvier 2025 (après les élections donc) le plafond de la dette publique au-delà duquel ce serait le défaut de paiement, ne trouve pas grâce à ses yeux, même s’il a été signé dans la douleur. Vague et complexe, cet accord ne change rien, dit toujours l’agence, à la dérive des comptes en l’absence de tout plan à moyen terme pour redresser la situation. Le déficit budgétaire et la dette publique vont mécaniquement monter. Le ratio de dette publique par rapport au PIB devrait ainsi passer à 118%, ce qui dépasse largement le ratio médian des pays jugés AAA, à 39% et aussi des AA, à 45%. On comprend le message, et toute la patience de Fitch avant d’agir. Pire, l’agence annonce une récession qu’elle qualifie de « douce » et qui devrait arriver fin 2023 début 2024, sachant que Joe Biden envisage de son côté quelques économies et parie surtout sur la croissance, la Fed pouvant peut-être arrêter ses hausses plus tard, au moins un temps.
Donc, que ce soit avec Joe Biden ou Donald Trump, la situation budgétaire américaine est et sera dramatique. Qu’on en juge : 31 trillions de dollars de dette publique, 1,5 trillion de déficit budgétaire, 1 trillion à trouver au premier trimestre pour refinancer la dette. Le tout dans une économie qui continue d’avancer mais plus lentement, ajoutant 190 000 emplois en juillet, le plus faible chiffre depuis décembre 2020 certes, mais 190 000 emplois tout de même. Avec un taux de chômage de 3,5% qui pousse à des hausses de salaires et à des tensions sociales, après UPS contre les syndicat des transporteurs, ce sera le bras de fer dans l’automobile. La Fed devrait alors continuer à monter ses taux, avec l’idée de faire baisser ainsi les taux longs. Mais cette hausse continue, initiée par l’alarme de Fitch, partant des Etats-Unis pour gagner le monde.
Que ferait alors Trump s’il est élu ? Redoubler de critiques sur Biden et faire des économies sur le social, la santé et le soutien à l’Ukraine ? On imagine l’accueil social. Et ceci suffira-t-il, avec les risques que ferait peser une politique MAGA (Make America Great Again ou America First) dans un contexte profondément changé par le Covid, les avancées de la Chine dans le Monde et la guerre d’Ukraine et un dérèglement climatique qui sera plus difficile à nier. Dans ce contexte, un repli américain sur soi serait maintenant perçu comme un échec de la première puissance mondiale, faisant monter le risque de la dette américaine aux yeux des marchés, donc partout les taux longs.
Fitch en fait-il trop ou pas assez ? Tard, certainement. En fait, les prévisions de dépenses publiques, aux USA ou ici oublient les effets des tensions mondiales, avec les coûts des réindustrialisations-friendshoring et l’inflation qu’ils pourraient amener, sans compter les dépenses militaires et celles du vieillissement. Fitch a beau, quand même, vanter les forces structurelles américaines, ses lacunes demeurent, notamment à moyen et à long terme, posant des questions sur la grande devise de réserve du monde : le dollar. Bien sûr, s’interroger sur la dette américaine devrait nous faire interroger sur la nôtre, pas sûr. La dette française a déjà été abaissée par Fitch le 29 avril à AA- et Standard & Poor’s vient de la maintenir à AA le 2 juin, mais avec une « perspective négative ». Répit n’est pas guérison.