De fait, il ne se passe pas de semaine sans drame ces jours-ci : assassinat d’un enseignant, refus d’obtempérer d’un jeune à scooter, assaut entraînant la mort d’un autre, attaque violente « en bande organisée » d’une autre… Chaque fois, les médias en parlent en boucle, les explications s’ajoutent ou se contredisent. L’inquiétude monte, jusqu’à ce qu’on nous annonce la création de cellules psychologiques, sur place. Elles aideront la famille, les professeurs, les élèves, le quartier. Et pour nous ? Les problèmes que nous vivons ici seront-ils seulement solubles par plus d’emplois publics et par la parole ?
Rigueur : le mot économique, contradictoire, est alors lâché. Il fait peur et réagir. Il confine à austérité et à chômage, pourquoi pas à pauvreté, bientôt à révoltes. De fait, les Gilets jaunes ont montré la sensibilité au prix de l’essence des populations éloignées des villes et de leur travail. Ce mouvement suivait la limite de vitesse à 70 km/heure : trop c’était trop, même si l’on peut toujours expliquer que la limite de vitesse est destinée à sauver des vies et la hausse du prix du carburant à réduire le réchauffement planétaire. Sauver des vies, proches ou lointaines, c’est une noble cause, mais pas forcément si la vôtre en devient impossible.
Les révoltes paysannes récentes montrent aussi l’extrême sensibilité au prix du diesel pour les tracteurs, puis aux normes européennes et françaises, aux marges des distributeurs, au prix de vente final qu’accepteront les consommateurs, en France ou à l’export. Ces tensions sont toujours vives ici, mais le combat prix/salaires devient plus tendu quand rien n’assure de la volonté des acheteurs de payer plus chers des produits « bio » ou « écolo », malgré leurs vertueux engagements. C’est toujours pareil : de bons sentiments d’accord, mais à prix égal.
Plus d’impôts alors, pour tout résoudre ? Impôt sur le revenu d’abord, mais sa concentration est déjà élevée. 44% des ménages ne sont pas imposés et 10% payent 75% de la note. C’est donc très « progressif » diront les économistes, sinon agressif, et toujours mieux recouvré par le fisc, prélèvement à la source aidant. Impôt sur la fortune alors ? Créé en 1989 et abandonné en 2018, son symbole demeure : celui d’un prélèvement (supplémentaire) sur les riches. Il rapportait alors 4,5 milliards. Mais, comme beaucoup d’impôts, il a surtout disparu sous sa forme mobile. Il s’est ainsi transformé en IFI, Impôt sur la Fortune Immobilière, pour 2,5 mds. 2 milliards seraient perdus, sauf que l’argent reste et que les entreprises en profitent, versant des profits taxés à 30% par une flat tax qui rapporte quand même 3,5 milliards. 2,5 + 3,5 = 6…
Faudra-t-il donc plus d’impôts sur le revenu et sur le patrimoine ? 2 ou 3 milliards ? Mais ce ne sera pas à la mesure du problème ! Fin décembre en effet, on prévoyait 522 milliards de dépenses publiques pour 2024, contre 354 de rentrées. Manquaient 168 milliards, soit 67 IFI ou 28 IFI + flat tax ! A cela, il faut ajouter l’amortissement de la dette publique de 3100 milliards, soit 160 milliards à rembourser en 2024 pour continuer à emprunter, autrement c’est le défaut. 168 + 160 = 328 milliards manquent, sans tenir compte de la lutte contre les dérèglements climatiques, les frais liés au vieillissement et à l’armement !
Alors : augmenter la productivité, l’exportation, la croissance et l’emploi pour se sortir d’affaire ? Oui, il faudra bien se résoudre à ce qui devra venir d’une offre à renforcer, à moderniser, à révolutionner et donc à abandonner la solution magique d’une demande à stimuler par les hausses de salaires, ce qui soutient plus l’importation que l’emploi interne qualifié. Problème : cette productivité est exigeante. Elle combine quantité et qualité du travail, autrement dit plus d’implication, d’intensité et d’innovation de tous. Surtout, la preuve de cette productivité réussie viendra de l’export, et là on ne peut s’excuser ! La productivité est affaire de volonté, de courage et de responsabilité partagées.
C’est cette combinaison qui permettra seule de gérer le changement climatique, avec sa charge d’inquiétudes, plus d’éviter les guerres. Ceci ne veut pas dire que les cellules psychologiques ne servent à rien, mais qu’elles ne peuvent tout faire. Elles doivent venir en appui, en expliquant ce qui arrive et comment en sortir gagnants. Il n’y a pas de psychologie miracle, parce qu’il n’y a pas de miracle.