Doctolib est, a priori, une belle invention : vous cherchez à prendre rendez-vous chez votre médecin traitant (pardon, on dit maintenant : référent) et n’avez plus besoin de téléphoner à sa secrétaire. Pour la bonne raison que Doctolib a permis de la libérer de son emploi. Vous cherchez directement la plage horaire où votre médecin est libre et vous aussi : un clic et c’est fait. Peu à peu, son temps destiné aux actes médicaux se remplit. Tout le monde, docteurs et patients, y gagne. À la secrétaire près.
Mais voilà que le patient prévu ne vient pas à la consultation. Est-il guéri, sans prévenir ? Sauf s’il a trouvé un autre médecin libre à un horaire qui lui convient mieux, ou qui est plus proche, ou les deux. Le docteur aura perdu du temps et enregistrera un manque à gagner. Le patient, lui, n’aura rien dépensé, puisque son « rendez-vous » était une option gratuite. Le lapin est là !
Comment empêcher ou, à tout le moins, réduire ce type de comportement ? Taxer le lapin ? Pour nous éclairer, la littérature économique nous donne l’exemple de la crèche de Haïfa. Certains parents y venaient chercher leurs enfants en retard, forçant le personnel à les attendre. Pour les pousser à venir à l’heure, il fut décidé qu’ils devraient s’acquitter d’une amende. Mais, contrairement à ce que l’on pouvait penser, de nombreux parents préférèrent payer pour venir au dernier moment.
L’engagement moral (même ténu) a disparu puisque l’option gratuite était devenue payante. Elle ouvrait un droit nouveau, par sa traduction monétaire : celui de venir plus tard. Pour éviter cet effet pervers devenu un cas d’école, une municipalité de la banlieue nord de Paris a tenté sa chance, avec des « taxes » par quarts d’heure de retard et niveaux de revenu. Bonjour la confidentialité et la simplicité ! Mais le résultat obtenu ici est (serait) différent, avec peu de retards, sûrement parce que la municipalité avait multiplié les annonces, les explications et les réunions pour exposer la situation, donc ses décisions. Qu’en est-il aujourd’hui, en banlieue et à Haïfa ? Comment les comportements ont-ils évolué ?
Passons chez le docteur qui attend encore son patient. S’agit-il de le punir par l’amende, d’éveiller chez lui un sentiment individuel de responsabilité ou de le mettre devant tous, dans la salle d’attente ? Faut-il faire confiance à la rationalité économique, à la morale ou au tribunal populaire ?
Comment agir sur le patient de Doctolib, pour qu’il ne se « lapinise » pas ? Les autorités proposent une taxe forfaitaire « à la Haïfa », mais laissée à la discrétion du docteur. Le lapin pourra ne pas revenir, payer en maugréant ou remercier du cadeau si le docteur ne lui demande rien parce qu’il est, normalement, fidèle — ou, pour un autre, prometteur, pour qu’il revienne. Sous la taxe : le commerce.
Mais le plus important est déjà en cours pour effrayer le lapin : le bruit. On parle beaucoup de lui dans les médias et sur les réseaux sociaux. Personne ne le défend. Son comportement pervers est même calculé, chiffré, disséqué et extrapolé à la France entière alors qu’on manque de temps médical (et aussi de milliards). Partout, il s’agit de trouver le meilleur moyen de l’attraper, au moins pour éviter toute récidive et surtout toute reproduction. Le lapin a vu le bout du fusil, mais il n’est pas le seul animal à chasser.
Parlons de la marmotte, qui feint de travailler alors qu’elle dort derrière son bureau : qu’allons-nous faire, sans qu’elle ne crie au harcèlement ? Parlons du gentil chien de berger qui surveille, sans les molester, ceux qui creusent la chaussée ou préparent des passages à vélo derrière leurs paravents. Faut-il leur parler de productivité ? N’oublions pas l’ours syndiqué, grognant et montrant ses crocs à ceux qui veulent s’en prendre à ses protégés, et tout protecteur pour eux. Viennent le caméléon qui change de couleur en fonction de ses chefs, puis le gibbon, qui n’a pas son pareil pour monter à la cime des hiérarchies, sautant de grade en grade. Comment mesurer leur efficacité, pour enfin la stimuler ?
Quelle ménagerie ! Telle est en fait la France, publique ou privée. Le privé a son développement régulé par le prix de ses ventes aux « autres », dans le pays ou au dehors, donc par leur bon vouloir. Le public dépend de la taxation (taxe lapin incluse), de son efficacité et de nos emprunts, encore sans problèmes.
Et vous oubliez les pigeons ? Nous ? On devra tous faire des progrès et mordre ceux qui n’en font pas !