Age de la retraite contre menace de la dissolution : ce combat de coqs qui oublie le capital humain

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Les politiques s’opposent sur l’âge de départ à la retraite. Pendant ce temps, l’économie française glisse vers la récession, entre chômage, inflation et creusement du déficit budgétaire.

Age de la retraite contre menace de la dissolution : ce combat de coqs qui oublie le capital humain

Faire partir vers 65 ans et plus, ou à 60 ans ? A moins que ce ne soit une autre voie qu’il faille emprunter, pour se sortir de celle où l’on s’enferre : former plus et tout le temps ? Les politiques s’opposent tous les jours sur l’âge de départ en retraite, à moins qu’ils ne sachent plus quoi faire sans perdre la face. Pendant ce temps, l’économie française glisse vers la récession, entre chômage, inflation et creusement du déficit budgétaire, plus guerre en Ukraine. Sans oublier les harcèlements sexuels.

Le retour à l’équilibre des systèmes de retraite est devenu prétexte à un combat sans chiffres, sans données ni projections, sans débats, sans recherche de compromis, et surtout sans exploration d’autres voies pour avoir plus de croissance, dans ce monde qui change et devient plus dangereux. Depuis 1990, nous tentons, par touches dramatisées, de revoir un système de retraite ébranlé par la décision du départ à 60 ans de 1981. Depuis, nous faisons face à un drame, avec les risques pris dans ce temps perdu, alors que les technologies frappent d’obsolescence nos savoirs, au moment où nous vivons plus vieux. N’y a-t-il pas à changer de terrain de bataille, pour aller là où elle se joue vraiment ?

Aujourd’hui, dernier avatar de cette guerre picrocholine, il s’agit de savoir si nous allons, ou non, vers une dissolution de la Chambre si « la loi ne passe pas »… dans les trois ou six mois qui viennent ! Avec la Chambre qui pourrait en sortir, certains élus rêvent d’un « quatrième tour » qui pourrait mettre en jeu le mandat du Président Macron. Certes peu en parlent, car « c’est trop tôt » pour ceux qui ne pensent qu’à 2027. Ceci explique pourquoi personne n’ose dire que cette polarisation sur l’âge de la retraite, est un combat de coqs et non de projets. Age de la retraite revu ou non, il nous fait oublier l’essentiel, et l’inévitable : l’obligation d’augmenter le capital humain, quand il est plus menacé que jamais par la révolution technologique en cours. Autrement, rien ne pourra marcher.

Retraites : un rapport inquiétant publié en septembre 2022, qui n’est pas lu

Le dernier rapport du Conseil d’Orientation des Retraites, pourtant plus inquiétant que les « doux » précédents, n’a pas été lu. Il indique quand même que les excédents de 2021 et 2022 seraient suivis de 25 années de déficits, quels que soient les scénarios retenus. Pour la suite, tout dépendrait de nouveaux scénarios et du mode de renflouement, par l’État, des systèmes publics et parapublics, structurellement déficitaires. Pour autant, même avec ces hypothèses grises, le rapport du COR note naïvement que « cette évolution démographique défavorable (le vieillissement de la population) est contrebalancée… par le recul de l’âge de départ à la retraite qui passerait de 62 ans à 64 ans… et par la moindre augmentation du niveau de vie des retraités relativement aux actifs. » Scandale : annoncer la paupérisation relative des aînés pour s’en sortir !

C’est là le premier secret, sans être le seul : « du fait de l’indexation du système de retraite sur les prix, la pension moyenne continuerait de croître… moins vite que les revenus d’activité moyens… Le niveau de vie des retraités rapporté à celui de l’ensemble de la population serait ainsi compris, en 2070, entre 75,5 % et 87,2 % contre 101,5 % en 2019 ». Peut-on imaginer que les syndicats ne vont pas réagir ?

Le deuxième secret est celui des subventions aux caisses de fonctionnaires, qui compensent certes des revenus de travail plus faibles par des taux de remplacement supérieurs, mais sans tenir compte en plus d’une espérance de vie supérieure. La puissance publique, qui va embaucher 10 000 fonctionnaires l’an prochain, va-t-elle pouvoir maintenir ce taux de subventions ?

Le troisième secret, plus important encore, est celui de la croissance à terme de la productivité, dont le dernier rapport marque quand même un ralentissement, avec des progressions prévues allant de +0,7% à +1,6%, contre la fourchette précédente qui allait de +1,0% à +1,8%. Il a fallu se rendre à l’évidence : ce ralentissement est très répandu dans l’OCDE et dans tous les pays suivis par le COR. Il y a des limites à l’irréalisme d’une productivité espérée plus haute que plausible, et qui permettrait de ne rien changer. En rabotant cette donnée fondamentale, l’efficacité du travail, le COR nous éloigne de scénarios trop roses. C’est plus sérieux pour discuter si on le veut, mais pas encore assez.

Vient alors un autre rapport, plus inquiétant et moins lu encore

Le Comité de Suivi des Retraites (CSR) est une instance moins politique que le COR, plus technique et qui ne cherche pas à noyer le poisson avec des hypothèses irréalistes. Il aborde ainsi nettement la question de l’âge minimal et de la durée de cotisation requise pour obtenir le taux plein et équilibrer le système. Il ajoute alors, heureusement, « le renforcement de la formation professionnelle », obligatoire notamment avec les réallocations de main-d’œuvre liées à la transition énergétique, en prenant bien sûr en compte les cas de pénibilité (en donnant le chiffre : 670 000 cas en 2019). En sens inverse, il mentionne l’allongement de l’espérance de vie, « pouvant prendre la forme d’une clause de revoyure en cas d’évolution très en deçà des hypothèses actuelles ». Quel courage ! De fait, partir plus tard en retraite, constamment formé, en liaison avec une vie plus longue en bonne santé, c’est la vraie logique de la répartition. Mais ce n’est jamais dit !

Heureusement vient enfin un autre rapport, qui met le cap sur le capital humain et la productivité, pour nous sortir du guêpier

Publié aussi en septembre, un mois décidément fécond, écrit par Maria Guadalupe, Xavier Jaravel, Thomas Philippon et David Sraer, la note 75 du CAE (Conseil d’analyse économique) ouvre une autre voie. Courageusement, elle part du pire de ce qui nous arrive et qui n’est jamais directement abordé : le ralentissement de la productivité en France, son décrochage par rapport à l’Allemagne et aux Etats-Unis. C’est la source majeure de nos problèmes de croissance, d’emploi, de déficit, donc… de déséquilibres des systèmes de retraite. Il s’agit de voir comment faire remonter cette productivité, avec 140 milliards d’euros à la clef, autrement rien ne sera possible. Mieux former, avec plus de compétences mathématiques et socio-comportementales, savoir et savoir être, avec une revalorisation des carrières de sciences et d’innovation, avec des stages et des subventions aux TPE et PME : voilà un programme de quinze ans pour combler le retard !

L’avantage de cette approche est de sortir des fracas sur l’âge du départ en retraite, en présentant l’autre face : le travail des séniors. Pendant des années en effet, le réduire a été utilisé pour lutter contre le chômage, ce qui arrangeait et arrange encore tout le monde : syndicats qui peuvent brandir une victoire, patrons soulagés des coûts de formation des séniors et de la gestion de  carrières longues, politiques qui voient baisser le taux de chômage. Bien sûr, ceux qui voulaient travailler plus longtemps pouvaient se plaindre : on leur disait de monter leur entreprise, et les jeunes pouvaient se soucier de cette dette sociale qui s’ajoute aux autres (dette budgétaire, dette écologique) : on leur dit que c’est pour plus tard. En fait, rien n’a changé depuis des années. « C’est notre impossible pari, c’est notre mensonge à la jeunesse, c’est le point caché de notre consensus social », pour citer Antoine d’Autume, Jean-Paul Betbeze et Jean-Olivier Hairault, dans un autre rapport : Le travail des séniors, écrit pour le CAE en… 2005 !

Le chômage des séniors, avéré depuis longtemps et rendu plus menaçant par la révolution technologique en cours, les tensions politiques et l’allongement de la durée de vie, est devenu aujourd’hui « le tabou des 65 ans » ! Le voilà aujourd’hui piège politique pour Emmanuel Macron, ce que ses opposants ont bien compris, avant de devenir un terrible piège budgétaire et financier… pour tous. Mieux vaut en sortir au plus tôt, car y tomber avec lui ne résoudra rien pour nous, comme dans tout combat de coqs !


Atlantico

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