Non bien sûr, il ne s’agit pas du programme d’Elisabeth Borne destiné à apaiser les Français jusqu’au 14 juillet, en souvenir de la fête nationale française du 14 juillet 1790. Du 14 juillet… 1790 ? Pas 1789 ? Non, la fête nationale française est celle du 14 juillet 1790. C’est la Fête de la Fédération qui en est la date officielle, celle d’un pays qui se voulait unifié. C’était un an après la prise de la Bastille et les trois mois de Terreur qui avaient suivi. C’était celle où La Fayette, commandant de la Garde nationale, en grand uniforme et sur un cheval blanc, déclarait face à Louis XVI et au nom des gardes : « Nous jurons de rester à jamais fidèles à la nation… et de demeurer unis à tous les Français par les liens indissolubles de la fraternité». Ceci ne nous rajeunit pas !
Non, ce n’est pas le programme d’Elisabeth Borne, car il s’agit du titre de mon livre publié, en janvier 2012, aux PUF. Il ne s’agit évidemment pas, pour la Première ministre actuelle, de « défaire la France », puisque d’autres s’en chargent, ni de la « faire », puisque c’est la tâche officielle du Président, il est assez critiqué pour cela. A moins que ce ne doive être celle des Français, ce dont ils ne parlent pas. Il s’agirait donc aujourd’hui de s’unir, comme à la Fête de la Fédération, mais sans les effusions de sang de l’époque et hors la présence du Roi. Va-t-on réussir ? Nous ne cessons au moins de le tenter, depuis cette époque.
La France tranquille de François Mitterrand nous était promise, après les chocs de 1981, de la hausse du SMIC de 10% le 26 mars jusqu’à… l’ordonnance de mars 82 sur la 82ème de ses 110 propositions : la retraite à 60 ans. Ceci en attendant le 11 juin 1982, date du premier plan de rigueur, la dévaluation d’octobre 1981 n’ayant pas suffi. Suivra donc une autre, en octobre 1982, puis une troisième, en mars1983. La France unie de François Mitterrand nous mène ensuite aux 35 heures. Plus de 8 000 jours plus tard, il s’agirait donc de revenir sur ces choix majeurs : 35 heures et départ en retraite ?
La France pour tous de Jacques Chirac s’annonçait ainsi en1995, jusqu’à ce qu’Alain Juppé évoque la réforme des régimes spéciaux de retraite, illustrant ce que cela voulait dire en pratique. Vient Nicolas Sarkozy, avec Ensemble, tout devient possible, preuve qu’ « ensemble » n’est pas si facile à atteindre, donc que tout ne devient pas possible. Suit François Hollande, pour redresser et rassembler la France : mêmes résultats. Puis viennent Emmanuel Macron I avec En marche, et Emmanuel Macron II avec Ensemble. « Ensemble » : on ne cesse donc de le répéter, ici comme ailleurs, aux Etats-Unis ou au Royaume Uni, tant ceci ne va pas de soi, avec les tensions qu’amènent l’économie, la politique, sinon l’envie, partout.
Et pourtant, « nous vivons en un temps où des forces gigantesques sont en train de transformer le monde. Sous peine de devenir un peuple périmé et dédaigné, il nous faut dans les domaines scientifique, économique et social évoluer rapidement. Il y a là des faits qui dominent notre existence nationale et doivent par conséquent commander nos institutions ». Il faut « que le pays puisse être effectivement dirigé… qu’il existe, au-dessus des luttes politiques, un arbitre national ».
Qui tenait donc ces propos, en ces temps où il n’est plus possible de prétendre être arbitre, sans se voir qualifié de jupitérien, et quand le pouvoir ne cesse d’être rogné, du septennat renouvelable au quinquennat renouvelable une fois ? Réponse : c’était de Gaulle, place de la République, le 4 septembre 1958, date en référence explicite au 4 septembre 1870, proclamation de la République après la défaite de Sedan et la déchéance de Napoléon III. On comprend ce qui l’animait : il avait vu les déchirements d’avant la deuxième guerre, qui empêchaient de voir et de décider. En 1945, pendant des mois, il bataillait à la Chambre pour un pouvoir exécutif fort, à côté des pouvoirs législatifs et judiciaire, chacun dans son domaine. En janvier 46, il démissionne et décrit dans son discours de Bayeux, le 16 juin 1946, ce qu’il reprendra… 12 ans plus tard, dans ce qu’on nomme « la Cinquième ».
Depuis, le « régime des partis » s’est remis à son travail d’usure, sous prétexte de démocratie, avec l’appui des médias. Et pourtant, « nous vivons en un temps où des forces gigantesques sont en train de transformer le monde ». C’est aujourd’hui plus vrai qu’en 1958. Alors, que fait-on ?