Yuan contre dollar

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 Yuan contre dollar

Avec 59% des réserves mondiales en dollars, la monnaie américaine peut regarder de haut la monnaie chinoise, le yuan, avec son maigre 2,5%. Pour autant, le yuan pourrait lui répondre que ces chiffres datent, notamment de la deuxième guerre mondiale, que la guerre d’Ukraine peut changer le cours des choses, qu’il a le temps pour lui et surtout regarde ailleurs. Que peut-on penser de ces deux chiens de faïence ?

D’abord, ces chiffres portent le poids des ans. Les rapports de puissances d’après-guerre pèsent plus, en finance, que les poids économiques, tels que mesurés par les PIB. Ceci est surtout vrai pour les Etats-Unis, avec leurs 59% des réserves contre 24% du PIB mondial exprimé en dollars courants en 2021, soit 2,4 fois plus. Certes ce poids a baissé, mais lentement. Il est ainsi passé de 71% des réserves mondiales en 1999 à sa part actuelle, 59%, soit une érosion de 0,5 point de pourcentage par an. Son grand allié est l’inertie, les États-Unis restant « la » puissance militaire et financière, combinant bombes et New York, avec la crainte médiatique que pourraient susciter de brusques mouvements dans l’allocation des réserves de tel ou tel pays. Pourquoi donc ? Que se passe-t-il ? Pour aller où ? Ne pas bouger, c’est tranquilliser.

Car cette lente glissade du dollar ne profite pas aux autres monnaies classiques, qu’on attendait pourtant comme réceptacles. Ainsi, l’euro représente toujours 20% des réserves mondiales sur la période, héritant du mark et du franc mais sans plus, tandis que le yen demeure à 6% de l’ensemble et que la livre sterling stagne à 5%. L’euro ne fait pas d’étincelles, la Banque Centrale Européenne se contentant diplomatiquement de dire que c’est aux marchés d’agir. Elle mène sa barque, en fonction de son cap à 2% d’inflation, sans objectif de change, ce qui ne l’empêche pas de regarder ce que font les autres, mais sans plus (officiellement). Rien ne bouge donc en zone euro, sauf si « les marchés » en décident autrement, ce qui n’est pas le cas : les hauts de l’euro ont compensé les bas, sans tendance. Nous verrons ce qu’il en sera demain, avec la nette baisse actuelle de l’euro.

La vraie surprise vient du yuan, qui gagne seulement 2,5% de part à fin 2021, le reste des hausses allant aux monnaies « non traditionnelles », qui passent de 4 à 10% sur la période. Cette lente montée du yuan vient en bonne part de la volonté même des autorités chinoises qui ne veulent pas de la mondialisation rapide de leur devise. Elles préfèrent gérer avec précision un lien stable avec le seul dollar, avec même, de temps en temps, des dépréciations qui passent sans problème !

C’est là l’anomalie majeure : le PIB chinois s’approche du PIB américain, avec 20 trillions de dollars à comparer aux 25 américains (3 pour la France), mais sa monnaie se cache, sans doute pour ne pas s’exposer aux rapports de force politiques. En effet, le trésor américain surveille ce qu’il nomme les manipulations, en fait les sous-évaluations de certains changes par rapport au dollar et publie ses trouvailles. Il note que, sur trois critères de « manipulation » qui mènent, s’ils sont tous présents, à des sanctions, la Chine, pour résister à la montée du yuan, n’en a jamais plus de deux à la fois. Hasard ! Ces trois critères sont un excédent commercial de plus de 15 milliards par rapport aux Etats-Unis, un excédent des comptes courants dépassant 3% du PIB et des achats réguliers de dollars, dans ce cas des ventes de yuans pour le faire baisser. Avec 340 milliards d’excédent commercial avec les Etats-Unis, la Chine dépasse la limite de 15 : voilà un critère ! Elle intervient sur le change, deux critères ! Mais avec un excédent de compte courant de moins de 2% : pas trois ! Peut-être les Etats-Unis ont-ils besoin des produits de la Chine, qui conserve à peu près son tas de bons du trésor américain ?

Si le poisson chinois ne peut être attrapé, allons vers le menu fretin. Le dollar canadien voit ainsi sa part monter à 2,3%, le dollar australien à 2%, le won coréen à 0,8% et la couronne suédoise à 0,6%. Les experts expliquent ce résultat par le fait que les traders des banques centrales, qui s’ennuient, veulent du sûr et mieux payé que le dollar. Le trésor US n’y a rien trouvé d’anormal !

Qu’amène la guerre d’Ukraine ? Déjà, la Russie avait 100 milliards de dollars en yuans dans ses coffres. Avec le gel de ses dollars américains, elle va vers 300. Yuan contre dollar ? La Russie pousse le yuan à sortir de sa tranchée. Aimera-t-il ?