Ce dicton boursier, qui a beaucoup et « bien » marché, « bien » en faisant la fortune de ceux qui avaient le courage de le mettre en pratique et donc l’infortune des autres, est-il toujours valable ? Vendez au son du canon, autrement dit : vendez tous vos titres quand vous entendez des menaces de la part des chefs ennemis, plus des bruits de bottes avant d’entendre ceux des bombes. Les cours chuteront immédiatement après. Attendez le temps qu’il faut ensuite, puis achetez au son du clairon de l’armistice : rien alors ne sera cher, tout sera presque donné. En plus il y aura des crédits publics partout, pour reconstruire et réinvestir, en s’endettant.
Mais, aujourd’hui, il y a une guerre en Ukraine depuis plus de deux ans, une autre entre Gaza et Israël, des menaces russes sur la Moldavie, des tirs de Houtis pour que les bateaux n’entrent pas dans la mer Rouge ni n’empruntent le canal de Suez, sans compter le Venezuela qui guigne une part du Guyana et amasse des troupes à la frontière, plus les tensions aux abords du Kosovo, de l’Arménie et de la Corée du Sud. Et tout ceci sans jamais oublier Taïwan, toujours à 130 kilomètres de la Chine.
Mais, aujourd’hui aussi, le Dow Jones, l’indice phare américain, est à ses plus hauts historiques, près de 39000, tout comme le CAC 40 à 8100 ! Faudra-t-il vendre Apple à 170$ après un plus haut à 195 en début d’année, suite à une trajectoire hors du commun depuis des années ? Faudra-t-il aussi vendre NVIDIA maintenant à plus de 850$ et qui a fait +265% sur un an ? Faut-il se débarrasser du Bitcoin à 72000$, qui ne repose sur rien nous dit-on, mais a quand même gagné 240% sur la même période ?
Les boursiers ne voient-ils et n’entendent-ils donc rien de toutes ces rumeurs et de tous les fracas de ce monde, eux qui sont tous pourtant branchés sur tout et en temps réel ? Ou alors ont-ils choisi de diviser le monde en deux : celui où la vraie guerre peut s’étendre, militaire, et celui de la guerre commerciale, en pleine révolution de l’informatique, avec une polarisation sur l’inflation à 2% et l’arme des taux de la Fed et de la BCE ? Dans le monde, quand les inquiétudes seront seulement guerrières, le vieux dicton boursier reprendra du service. Mais pour l’heure ce n’est pas le cas, tandis qu’on attend par ailleurs la baisse des taux par Jay Powell et Christine Lagarde.
Inflation ou canon ? C’est aujourd’hui l’état de ce monde qui vit entre deux crises « séparées ». Cette « séparation » est plus imaginée que réelle, sous prétexte qu’elle serait géographique. Elle sous-estime les effets de la mondialisation des marchés et ceux de la cyberguerre, omniprésente, sous prétexte que nous pourrions la combattre par ingénieurs interposés.
Inflation et canon ici, bulle et technologie là, c’est la dynamique à l’œuvre et qui ne fait que s’entretenir. On retrouve alors une moins ancienne analyse, mais toujours vraie : « les pacifistes sont à l’Ouest, les missiles sont à l’Est ». C’était François Mitterrand qui s’exprimait ainsi le 20 janvier 1983 au Bundestag, à Bonn. Depuis, cette « séparation » tient, car tout est fait pour la maintenir.
De fait, même si les idéologies restent toujours opposées entre Est et Ouest, traduisons entre Poutine et nous, nous ne sommes pas dans « l’entre-deux guerres » mais entre les deux guerres. A nous de renforcer notre camp pour empêcher la conflagration, une fusion des deux guerres, ce qui revient à devoir gagner les deux, celle de la paix « classique » en Ukraine et celle de la révolution technologique partout. Pour ce faire, il ne faut surtout pas parler de troupes à envoyer, ce qui ferait sauter la « séparation », mais d’un grand emprunt européen à lancer afin de financer une défense commune. Il faut, d’un autre côté, baisser les taux d’intérêt pour soutenir l’activité, quitte à gonfler plus la bulle : elle est moins dangereuse qu’une extension du conflit.
Ce sera là l’inverse du dicton, effet de la « séparation » des situations : tirs des canons d’un côté et montée des cours de l’autre, comme si les achats devaient se faire au son du canon, grâce à lui ! Erreur. Faut-il craindre la paix et le son du clairon ? Autre erreur : acheter, c’est en fait renforcer le camp de la paix, pas celui de l’inflation à 2% à tout prix. Il s’agit de maîtriser les nouvelles technologies pour avoir plus de croissance et d’emploi, donc pour gagner. Aujourd’hui, il faut acheter au son du canon pour entendre le clairon.