Où étaient les guetteurs ? Nous avons été surpris, nous et tous les autres ! Bien sûr, on pourra toujours dire qu’on a été prévenus trop tard par la Chine, qu’elle nous a menti, qu’on la crue… Et pourtant, nous avons des experts partout : financiers, politiques, scientifiques. Tout le monde « chat » partout, les réseaux sociaux vibrent en permanence. En plus, les « sachants » s’empoignent avec les complotistes, les « nouvelles » disparaissent derrière des fake news de mieux en mieux faites et difficiles à dépister, mais comment avoir raté une telle météorite ? Et pourtant, nous devrions savoir qu’aucun pays, Chine ou autre, ne nous dira une vérité qui l’affaiblit. La Chine n’a pas tout de suite prévenu et les Etats-Unis ont passé des mois à nous expliquer que les subprimes étaient sans risques ! Et pourtant, on demande souvent aux marchés financiers d’avertir quand arrive une mauvaise nouvelle. Ils sont toujours excessifs, ne ratent pas l’essentiel. Sauf cette fois-ci.
Une tour de guet nous est indispensable, quitte à être copiés par d’autres et mieux encore : pour l’être ! Notre croissance devait être de 1,2% en 2020, après 2,3% en 2019 selon le FMI en début d’année. La voilà qui plonge vers -7,2% cette année, pour remonter ensuite de +4,7% en 2021. Au total, malgré ce « rebond », ce sera 5,5% de PIB perdus sur trois ans ! Le bilan humain sera terrible, avec des milliers de morts, des millions de personnes en chômage partiel, combien de nouveaux jeunes chômeurs après, d’entreprises en faillite, quelles dettes avec une croissance durablement plus faible ?
Comment s’est-on fait surprendre, encore ? Pourtant, nous savons que nous sommes de plus en plus exposés aux crises. Les crises financières sont fréquentes : tous les deux ou trois ans pour les petites, tous les dix ans pour les plus importantes. On se rappelle les dernières : choc pétrolier de 1973, crise des émergents (Mexique, 1994), crises régionales (Asie, 1997 ou zone euro, 2012) et dernière en date, cette crise des subprimesaméricains de 2007 devenue mondiale, aussi grave que celle de 1929. Puis viennent les crises sanitaires, plus fréquentes et en plus large expansion : SRAS (Chine, 2003), grippe H1N1 (Mexique, 2009), EBOLA (Congo, 2014).
La nouveauté du COVID-19 est d’être le premier croisement entre crise sanitaire et crise financière, toutes deux mondiales : c’est cela qui n’a pas été « vu ». Ce croisement frappe en deux mois la deuxième économie du monde – la Chine, puis la troisième – la zone euro, puis la première – les États-Unis. Bien sûr, on pourra dire que nous payons la globalisation, la multiplication des voyages et des congrès, la déforestation et la réduction de la biodiversité, ce qui fait que les animaux s’approchent de nous (la vache nous a apporté la rougeole et les oreillons, mais c’est oublié), plus le réchauffement climatique ! Mais la source de la conflagration est ailleurs : dans le phénomène d’écho entre santé et finance. Il a poussé aux chutes violentes et conjointes de l’offre et de la demande, accentuées par les bourses. Pour freiner ces spirales, il a fallu des trillions de dollars et d’euros de déficits budgétaires et de crédits bancaires. Jusqu’au moment où médicament et vaccin seront trouvés.
Sans tour de guet, il n’est plus possible de continuer, sauf à décider de croître moins et moins bien ! Que se passe-t-il autour et loin de nous ? Comment écouter les mots et les rumeurs des réseaux sociaux, mieux déployer nos grandes oreilles ? Faut-il des espions et des experts ? Oui, mais on sait qu’ils ratent. Surtout, on voit le danger qu’il y a à « sous-traiter » la capture d’informations à l’OMS pour la santé ou au FMI pour la finance. Le risque pris à ne pas investir ici dans une culture de la vigilance, de la recherche de signaux faibles et du traitement automatique des données nous revient en boomerang.
Mais une tour de guet ne suffit pas ! Bien sûr, on aura besoin de guetteurs pour pister ce qui se prépare ailleurs, et aussi d’éclaireurs. Que deviendront nos États et nos systèmes de protection sociale ? La zone euro ? Nos banques ? Nos entreprises ? Nos consommateurs déconfinés ? La leçon de ce drame est double : il faut mieux s’organiser pour savoir et prévoir, en renforçant les entreprises et en formant les salariés. Les États et les entreprises qui rebondiront seront ceux et celles qui avaient les meilleures stratégies et la plus forte cohésion. Pour bien guetter, il faut savoir où l’on va.