Un Parlement français plus technique ?

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 Un Parlement français plus technique ?

Vous voulez dire : encore plus technique qu’il ne l’est, pour aider à résoudre les problèmes sociaux, économiques, financiers, militaires… actuels ? Mais, technique, il l’est déjà ce Parlement, diront certains ! Pas assez ? Excessif ? Égaré ? Volatile ? Dispersé ? Et nombreux sont ceux qui critiquent déjà la complexité de certaines de ses lois. Pas technique comme il devrait l’être, alors ?

De fait, le Parlement français est une institution politique, pas technique. Plus exactement : une institution politique en dernière instance, pour légiférer, mais qui ne peut ni ne doit n’être que cela. Le Parlement doit en effet intégrer dans ses discussions, face aux problèmes qui se présentent, et en amont de ses votes, les raisons de ses choix, avec leurs effets à court, moyen et long terme. Pour autant que la chose est possible, et de manière transparente. Le Parlement qui est déjà multi-sujets, multi-pays devient ainsi multi-secteurs et multi-périodes : il serait donc omniscient ! Mais il n’est pas seul de son espèce en France et dans le monde ! En effet, on demande de plus en plus aux politiques, au Parlement français comme au Parlement européen : tout devient plus complexe… et nous plus exigeants. Alors comment faire ?

Mais d’abord, comment font « les autres » aux États-Unis et au Royaume-Uni, pour choisir ce qui les « unit », eux ! Allons aux États-Unis, au Congressional Budget Office (CBO), ou Bureau du budget du Congrès américain. C’est une agence fédérale bipartisane, ni Démocrate ni Républicaine, créée en 1974. A son côté, un autre Comité est en charge de la Taxation, autrement dit des revenus dont s’occupe le Congrès. Last but not least, le CBO mesure et établit les effets de la dette nationale américaine ! N’empêche, dans cet univers politique américain si polarisé, les travaux de ses 280 experts pèsent toujours, notamment auprès des marchés financiers.

Au Royaume-Uni, depuis 2010, l’Office for Budget Responsability (OBR) est un organisme indépendant en charge des prévisions économiques et fiscales, pour le compte de la Chambre des Communes. Il doit analyser les écarts entre prévisions et réalisations annuelles, notamment dans leur aspect budgétaire, étudier la soutenabilité à long terme des finances publiques, évaluer les risques budgétaires et fiscaux, plus les apports et les coûts des choix fiscaux du gouvernement ! Il réunit 250 experts, avec de puissants liens universitaires. Gare au Premier ministre qui ne le consulterait pas, quite à ne pas l’écouter : quand Liz Truss, l’éphémère Première ministre, présente son « mini budget » (très) libéral avec 45 milliards de livres de baisses d’impôts, notamment sur les hauts revenus, elle « oublie » l’OBR. Mal lui en prend : son plan n’était pas sérieux, la preuve : les experts indépendants de l’OBR ont été évités ! Ce sera donc un scandale politique et une réaction horrifiée des marchés financiers. La situation de Liz Truss devient intenable : une leçon qui ne sera pas oubliée.

Le Parlement français n’a ni CBO, ni OBR. Il reçoit les volumineux documents de Bercy quelques jours ou heures avant d’en discuter, même quand il s’agit du budget… Comment éviter alors sa hargne par rapport à la pression ainsi ressentie et au fait de se vivre en sous-expertise, sans qu’il ne se polarise vite sur quelques pointes « politiques », sinon anecdotiques, faute d’être techniques ? De fait, les partis politiques, souvent, n’ont pas assez de moyens pour réagir ou étayer des programmes sérieux. Les think tanks sont alors le seul outil pour répondre, peser, innover. Mais seuls

quatre semblent ici assez puissants pour contredire les travaux officiels et proposer de nouvelles pistes (Fondapol, Montaigne, Jean-Jaurès, Terra Nova). Restent aussi des groupes spécialisés, sur l’Europe par exemple, à côté d’autres, très idéologiquement orientés.

Alors, comment rendre plus techniques les débats politiques au Parlement ? Créer une entité indépendante, par exemple en agrégeant France stratégie, Conseil d’Analyse Économique et d’autres Hauts conseils, plus des mises à disposition d’économistes de l’Insee, de la BDF et du Conseil d’Orientation des retraites? Ou commencer par une équipe indépendante au sein du Parlement, avec des experts et des crédits pour commander des études auprès de centres de recherche ? Ce serait bien d’en débattre, aussi techniquement que possible. Les retraites le montrent : sans chiffre et sans réflexion, on ne Parlemente pas, on crie.