Les trois maîtres du monde viennent de se réunir

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Où, quand, qui et qu’est-ce qu’ils se sont dit ? Où : à Jackson Hole, petite bourgade pittoresque du Wyoming, avec vue imprenable sur les montagnes de Teton Range et de Gros Ventre Range, ce qui ne s’invente pas ! Quand ? Du 25 au 27 août. Qui ? Les grands argentiers mondiaux et les spécialistes universitaires de la finance. Qu’est-ce qu’ils se sont dit ? Pas tout, mais tout ce qu’il fallait pour que les marchés restent tranquilles jusqu’à l’année prochaine. Ecoutons-les, ces trois grands argentiers.

 Les trois maîtres du monde viennent de se réunir

D’abord, c’est Janet Yellen qui parle, la patronne de la Banque centrale américaine. Son discours nous dit trois choses. La première, c’est que la hausse des taux tant attendue par les marchés financiers s’approche. C’est ce qui sera retenu. Elle ajoute que la crise a conduit la Banque centrale américaine à revoir ses outils de politique monétaire, son fameux « toolkit ». Il s’agit aujourd’hui de parler de taux d’intérêt, comme avant et comme toujours, mais d’en parler pour le futur, de faire de la forward guidance. Des taux toujours, des mots plus que jamais. Pourquoi ? Parce que l’avenir est incertain et que la banque centrale, crédible, indépendante, est censée savoir mieux ce qui se passera en matière d’inflation (pas sûr). En annonçant ses décisions autant qu’il lui est possible, elle réduit les incertitudes. Qui l’aime la suive.

La troisième chose que nous dit Janet Yellen, c’est qu’elle dispose désormais des outils qu’il faut pour mener l’économie américaine vers plus d’emplois et les 2% d’inflation de son mandat. Elle ajoute que ses nouveaux outils conduiront à une croissance éventuellement plus faible qu’auparavant (c’en est fini des 4%), mais plus stable. Quand le ralentissement viendra, la Banque centrale américaine baissera ses taux, mais moins qu’avant, pour la bonne raison qu’elle les aura montés moins qu’avant, tout en parlant beaucoup plus qu’avant, pour rassurer les esprits. Bref, Janet Yellen a « vendu » une nouvelle politique monétaire pour le ralentissement ou la récession qui pourraient venir. Elle est prête !

Le deuxième grand argentier est Benoît Cœuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne. Il parle pour lui-même bien sûr, autrement dit en lieu et place de Mario Draghi ! Il confirme la stratégie de la BCE : une inflation autour de 2%, avec l’idée de financer relativement plus l’économie par les marchés que par les banques, ceux-ci étant jugés plus réactifs. Mais il avoue avoir fort à faire dans la zone euro : son toolkit est plus difficile à mettre en œuvre que celui de Janet. C’est pour ça qu’il a eu recours à des taux négatifs à court terme et à une compression très forte des taux longs. L’objectif est toujours de dissuader d’épargner et de pousser à investir, maintenant que l’argent est moins cher, soit par le canal des marchés, soit par le canal du crédit. Mais c’est lent. Alors, continuer cette politique, c’est affaiblir aussi les banques et pousser certains investisseurs à prendre beaucoup de risques, parfois trop. Le bilan est donc mitigé, parce que la reprise n’est pas là et avec elle l’inflation. Et cette reprise qui fait défaut est en fait conséquence des réformes que ne mènent pas les hommes politiques. Benoît Coeuré est aussi « cash » qu’un banquier central peut l’être : la BCE baisse ses taux pour permettre aux politiques de faire plus facilement les réformes qui s’imposent et ceux-ci en profitent pour endetter davantage leurs pays et ne pas les faire ! Benoît Cœuré a donc annoncé que son bilan pouvait devenir moins favorable si rien ne se passait, conduisant la BCE à continuer ses taux négatifs, jusqu’à ce que son message soit compris.

Le troisième grand argentier est Haruhiko Kuroda, le patron de la Banque centrale du Japon. Il n’est pas aussi indépendant que les autres. Il est là pour soutenir la politique du premier ministre Abe, en luttant contre la déflation et en achetant autant de bons du trésor qu’il faudra. Il n’est donc pas sorti de l’auberge et s’apprête, dans quelques jours, à réaffirmer cette politique, la plus aventureuse des trois, notamment pour les retraités et pour le yen.

Au fond, chacun des trois maîtres du monde est assez content de ce qu’il fait, mais moins content des hommes politiques et d’une croissance qui n’arrive pas à redémarrer comme avant, même aux Etats-Unis. Ah, si ces politiques les aidaient à déplacer ces belles montagnes qui sont en face d’eux… Autrement gare : ils continuent !