Si Draghi réussit, les banques et les assurances vont beaucoup souffrir, sauf…

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Sauf si on change les règles dites « de prudence » auxquelles banques et assurances doivent obéir, précisément à la suite de la crise dont on sort ! Autrement nous replongerons, dans un an et demi. Nous vivons en effet une terrible contre-indication : ce qui devait protéger les banques et les assurances des risques, et nous avec, peut les faire beaucoup souffrir, et nous avec, si la médecine actuelle de la BCE continue. Et elle va continuer. Quel est donc cet engrenage diabolique ? Et comment en sortir ?

 Si Draghi réussit, les banques et les assurances vont beaucoup souffrir, sauf…

L’objectif de Mario Draghi est clair : après avoir tout essayé, il veut faire repartir la machine économique européenne en achetant, chaque mois, 60 milliards d’euros pendant plus d’un an. Ceci est très indirect. En achetant la dette publique des pays membres de la zone euro, il fait baisser les taux d’intérêt, donc les déficits budgétaires et soulage les Etats. Ils peuvent alors faire plus facilement les réformes prévues, ce qui stimule la croissance (à condition bien sûr de ne pas en profiter pour ne rien faire ou trop peu !). Cette baisse des taux longs publics se propage alors aux taux longs privés. Les profits des entreprises montent, la bourse gonfle. Les entreprises s’endettent moins cher sur les marchés, pour acheter leurs concurrents ou investir. Les banques font des crédits moins chers aux PME et au logement. Parfait !

Mais à qui donc acheter ces bons d’état ? A ceux qui veulent les vendre en faisant une bonne affaire (fonds, particuliers et investisseurs – hors zone euro notamment) pardi. Mais pas les banques ! Pourquoi ? Parce qu’elles doivent garder ces obligations publiques pour des raisons de liquidité : c’est la règle dite LCR (Liquidity Coverage Ratio) – alors qu’elles en détiennent près de 20 %. Pas les assurances ! Elles non plus ne peuvent pas vendre leurs obligations publiques pour raisons de sécurité. C’est la règle de solvabilité dite Solvabilité 2 – alors qu’elles détiennent aussi près de 20 %. Pire, elles ne peuvent pas vraiment acheter des actions car elles doivent mettre beaucoup de fonds propres en contrepartie. Pire encore, elles ne veulent de toute façon pas vendre les obligations publiques qu’elles détiennent, car elles achèteraient alors des produits qui ne rapportent pratiquement rien ou qui seraient très risqués. Nous voilà avec 40 % du marché qui ne peut pas vendre !

Les conséquences visibles de cette situation sont merveilleuses. Avec ce marché presque réduit de moitié, les taux à 10 ans allemands baissent en effet à 0,08 %. Le 10 ans France est à 0,4 %, le 10 ans Espagne à 1,4, comme pour l’Italie. La France place 3 milliards à 3 ans à -0,16 % (le 16 avril 2015), 5 milliards à 10 ans à 0,5 % (le 8) et 2 milliards à 30 ans à 1 % (le 8) ! C’est la conséquence visible du fait que la BCE a acheté, fin mars 2015, 11 milliards à l’Allemagne et 8,7 milliards à la France.

Les conséquences invisibles sont graves : la BCE achète des obligations de plus en plus risquées. Elle prête à 8,2 ans à la France et à l’Allemagne, à 9,1 ans à l’Italie, à 11,1 ans au Portugal et à 11,7 ans à l’Espagne. Pourquoi donc acheter à des rendements si faibles des placements si longs dans des pays somme toute assez risqués ? Réponse : parce qu’il n’y a que cela… si les règles ne changent pas.

Première règle à changer : ouvrir le marché des titres achetables. Ceci vient à peine de commencer avec des achats dits de substitution pour la BEI, la Cades, la CDC, l’AFD, BPI France… Mais nous restons dans le public ou para-public. Quid des grandes entreprises, pour décoincer l’investissement ?

Deuxième règle à revoir : pouvoir acheter plus de 25 % d’une émission. C’est politiquement plus sensible dans la mesure où c’est favoriser les grands pays. Mais la reprise en zone euro dépendra quand même de la France, de l’Espagne et de l’Italie !

Troisième et quatrième règles à revoir : pour les banques, la règle de liquidité doit être étendue aux actifs éligibles au refinancement de la BCE et qui sont, de fait, liquides. Et pour les assurances et Solvabilité 2, il faut absolument leur permettre d’investir plus en actions en leur demandant moins de fonds propres en contrepartie. Autrement on freine les investisseurs les plus à long terme de l’économie !

Mario Draghi ne peut réussir qu’en agissant – avec les Etats – pour changer ces quatre règles. Autrement ce sera pire.

 

Voir sur ce sujet Quand la BCE achète des bons d’état en fonction de la structure de son capital…, le Zoom du 23 avril.

 

Article cité par l’Agefi (Suisse).