Programmes électoraux : « partir du réel » un peu, ou beaucoup ?

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 Programmes électoraux : « partir du réel » un peu, ou beaucoup ?

En France, la terre politique « réelle » est de plus en plus fragmentée. On nous parle, partout, de la « fragmentation croissante » de la société française, de son « archipélisation », sous l’effet de ses changements économiques récents : désindustrialisation et « désagricolisation », sans oublier sa déchristianisation, pour la perte de ses repères. De fait, l’économie française est devenue essentiellement tertiaire, instable et imprévisible, comme la pandémie vient de le démontrer. Dans une ville moyenne, le premier employeur est l’hôpital, puis viennent les écoles et la mairie. Le tissu industriel s’est défait, le centre-ville voit surtout des pharmacies et des opticiens, entre agences bancaires et caisses d’épargne. En sortant de la ville, on trouve les grandes surfaces, avec panneaux et parkings, elles qui ont tué les petits commerces de centre-ville, et la classe moyenne qui allait avec. Comment changer tout cela et faire revenir les usines, les boutiques, les cadres, les patrons avec leurs capitaux ? Comment réindustrialiser et serviciser plus et mieux ?

Cette terre politique française est surtout de plus en plus complexe. On peut toujours critiquer la zone euro, l’Europe ou l’Allemagne, il reste qu’il est difficile de s’extraire de ses règles et normes, à supposer que ce soit bénéfique. Quitter l’euro ? Mais qui donc le veut vraiment, sauf certains, pour des raisons idéologiques ? On peut aussi critiquer les États-Unis, mais ce n’est pas ce qui nous expliquera comment œuvrer dans l’Otan ou assurer notre propre défense. Et ainsi de suite : la France est la sixième économie du monde, derrière les États-Unis, la Chine, le Japon, l’Allemagne et le Royaume-Uni, avec l’Inde qui s’approche, désormais. C’est son rôle dans la zone euro auprès de l’Allemagne, plus ses poids militaire, diplomatique et culturel qui expliquent son importance, mais elle ne peut plus être seule. La preuve en est l’insistance française, macronienne si l’on veut mais aussi européenne, sur le multilatéralisme. Une notion que les États-Unis n’aiment pas beaucoup, puisqu’elle implique qu’ils ne sont pas le seul guide, et que la Chine reprend à son compte, pour cette raison !

Alors, quel slogan pour la présidentielle ? La preuve de la difficulté des leaders à « travailler » cette terre de France est leur problème à trouver un slogan simple, mobilisateur et, si possible, crédible, pour synthétiser leur message. Déjà, les programmes politiques qui s’annoncent, avec l’augmentation du SMIC, l’égalité hommes-femmes et les préoccupations écologiques, mobilisent comptables, experts et modélisateurs pour mesurer les effets de toutes ces promesses. Mais pas facile de préciser et d’évaluer tous ces engagements divergents dans le monde actuel, qui cherche ses nouveaux équilibres. François Mitterrand ne pourrait plus parler de « Force tranquille », avec un clocher au fond de la vallée : personne ne croit à la tranquillité du monde et le clocher ferait réagir. Jacques Chirac ne pourrait plus parler de Fracture sans qu’on lui fasse remarquer qu’elle s’est aggravée et surtout qu’il y en a plusieurs. François Hollande ne pourrait plus promettre « le changement c’est maintenant », sans qu’on lui dise qu’on l’attend toujours. Et le « En marche » d’Emmanuel Macron a plus incarné la promesse d’un mouvement qu’une direction.

Alors : faudra-t-il dire France, sans parler d’Europe ? Bonheur, ou égalité ? Reconquête, ou renaissance ? Comment mobiliser pour la République, l’Europe, l’euro, la révolution technologique, la formation et les jeunes, le renforcement de la France dans cette scène mondiale en constants changements, en quelques mots ?

Pas de surprise si les marchés financiers regardent nos sondages avec l’inquiétude d’un éclatement. Le rendement du bon du trésor à 10 ans passe à 0,2% en France, contre -0,1% en Allemagne. On comprend mal les invectives actuelles, avec ces références au passé : Pétain, de Gaulle, Algérie et Maurras. Les libertés sont-elles menacées par le Pass Sanitaire, le confinement, tandis que Parcoursup briderait la jeunesse ? Où sont passés ambition, goûts du travail et de l’effort, attrait pour le risque ?

Alors, dans ces programmes, faut-il « partir du réel » un peu ou beaucoup ? Que veulent dire hausses de salaires et nationalisme sinon retours sur soi, dans un monde qui l’interdit ? « Courage et union en France et en Europe » : on craint déjà ce que donneront les futurs sondages.