Pourquoi tant de prophètes de malheur ?

- Ecrit par

 Pourquoi tant de prophètes de malheur ?

 

Parce qu’ils nous procurent une agréable douleur. Parce que les autres, les rares prophètes de bonheur qui nous restent, ceux qui nous annoncent que la croissance va revenir, que nous résoudrons les problèmes posés par le COVID-19, que les tensions mondiales, géopolitiques et religieuses ou autres vont s’apaiser, nous intéressent peu. Ils sont trop doux, trop mous. Nous préférons le Trump qui menace au Biden qui veut réparer. Notre intérêt va plus à ceux qui annoncent la crise du dollar ou de l’euro, sans préciser jamais qui remplacera le dollar s’il défaille, ou l’euro s’il explose, à ceux qui rafistolent en permanence le système mondial. Les uns prévoient le pire et le claironnent, les autres listent le travail à faire, et s’y mettent.

 

Le grand avantage du prophète de malheur est qu’il ne se soucie pas des conséquences de ce qu’il annonce. Le prophète de bonheur, lui, doit dire ce qu’il fera, donner un plan, des idées, une démarche, des dates, des délais. Et tout cela sera alors, aussitôt, critiqué, puisqu’insuffisant, tardif… bref : condamné. Le prophète de bonheur doit être précis. Il ne peut seulement proclamer que l’espèce humaine s’est toujours relevée de ses drames, de ses pestes, de ses guerres. La belle affaire, que l’histoire passée ! Dire que d’autres viendront après nous intéresse peu, si nous craignons, nous, avant, d’être envahis, chômeurs, appauvris, ruinés, « remplacés ». Et ce qui est pire pour le prophète de bonheur, c’est qu’il va nous parler de nos responsabilités pour avancer, pour soigner nos plaies, nous former, accepter de changer, redoubler d’efforts. Désagréable à l’oreille, nous préférons pourtant le prophète de malheur. Il nous parlera d’une responsabilité collective séculaire, avec le changement climatique par exemple : nous y sommes pour quelque chose, mais pas seuls et si peu ! Devenu économiste, ce prophète va critiquer les choix d’un capitalisme égoïste, court-termiste, américain ou autre, avec l’appui de ses « grands argentiers » : les patrons des banques centrales américaine (Jerome Powell) ou européenne (Christine Lagarde). Muté politologue, il parlera du conflit entre le 1% du capitalisme financier américain et le marxo-capitalisme chinois. Devenu commentateur médiatique ou voisin de palier, il chargera Bruxelles, nos élus ou, mieux, Emmanuel Macron de tous nos maux. Et alors ?

 

Le COVID-19 illustre le combat entre ces deux tribus de prophètes. Pour les « malheuristes », le virus est une arme chinoise pour nous faire plonger dans l’abîme ou bien l’illustration de l’impréparation de nos gouvernants. Le masque n’est pas là, puis pas assez là, puis trop cher. Le  vaccin, mais lequel, ne réussira pas assez vite. L’essentiel n’est pas de chercher les responsables : tout s’ajoute, pour plomber la croissance et attiser les tensions. En France, le confinement total fait chuter la croissance et conduit aux faillites, avec en prime l’explosion de la dette publique. Certes elle se finance sans problème, jusqu’au jour où ce ne sera plus possible. Le malheur a le temps pour lui. Et quand vient le confinement partiel d’aujourd’hui, au lieu de noter, avec les « bonheuristes » qu’il coûtera  bien moins que le premier en perte de PIB (-13% contre -31% sur le trimestre), donc qu’on peut le garder pour l’affiner, puisque l’idée est quand même de sauver des gens et, « en même temps », de sauvegarder l’économie, les « malheuristes » nous parlent des libraires, des fleuristes et des bars. Rien ne va.

 

Ce combat va durer, car le « malheuriste » n’a jamais tort. Un problème nouveau va toujours survenir : le « bonheuriste » le sait, il n’a jamais longtemps raison. Dans ce monde plus complexe et informé, bien et mal se côtoient : la notion de durée a disparu. Une instabilité croissante a pris sa place, médiatique et financière surtout. Finie l’Amérique dominante sans conteste, qu’il s’agisse d’économie ou de promesses : tout s’éparpille, se partage, se fragmente, se confond. Une philosophie réussissait, avant, quand elle annonçait, au moins, la révolution. Voilà la « déconstruction ». En face, la résilience fait soin palliatif. L’incident prend toute la place, l’erreur est amplifiée.

 

Etre prophète de malheur est une sinécure, prophète de bonheur un combat. Qu’on ne s’étonne pas si les premiers sont plus nombreux, plus écoutés et mieux payés que les seconds. Qu’importe : roulant sa pierre vers le haut de la montagne, le prophète de bonheur est, il faut le croire, heureux.