Pollueur payeur, on reconnaît ici la théorie de l’économiste anglais Arthur-Cecil Pigou (1857-1959), à moins qu’il ne s’agisse du vieil adage : « qui casse paye ». L’idée de la taxe était double. D’abord, en demandant à l’industriel qui pollue et diminue le bien-être de ses voisins (mais pas qu’eux), de payer, il doit réparer. Ensuite et surtout, il doit faire en sorte de polluer moins. La « taxe pigouvienne » n’est pas seulement punitive : elle est pédagogique et auto-correctrice. Que des qualités !
Sauf que l’idée est vieille : cela fait des siècles que les voisins se plaignaient des odeurs ou des risques de certaines fabriques, des années que des gendarmes pouvaient interdire et taxer, puis que le train permettait de faire sortir les usines des villes, avec leurs fumées et… leurs ouvriers révolutionnaires.
Taxer soulevait, on l’imagine, l’opposition des patrons et supposait que soit correctement évalué le dommage (« l’externalité négative »), que l’entreprise puisse payer, et que le montant soit suffisant, pour réparer. La mine de charbon est dangereuse et pollue, mais comment faire ? Pareil pour l’amiante ou nombre d’activités chimiques. Ceci sans parler des nuisances sonores, des fatigues physiques, des cadences ou des travaux sans intérêt. La liste s’allonge.
Il faut reconnaître que, dans les pays développés, nombre de pollutions ont été réduites par les robotisations ou les protections, mais beaucoup ont été « délocalisées ». Après le train du XIXème siècle, viennent le travail chinois et les chaînes mondiales de valeur ajoutée, avec bateaux et avions. Le pollueur est parti, il nous vend. Alors, les dérèglements climatiques se répandent et augmentent, avec canicules et tornades. Comment réagir, comment taxer, comment réparer ?
L’épisode des Gilets jaunes, en France et ailleurs, a montré qu’il n’était pas possible d’augmenter un peu le prix de l’essence « pour de bonnes raisons écologiques », sans susciter de violentes réactions. Le pollueur est cette fois le salarié, souvent peu rémunéré, et qui n’a d’autre choix que l’auto pour aller au travail, au supermarché ou mener les enfants à l’école. Il enrage. L’idée vient alors de l’aider à changer de véhicule, de chaudière, à isoler son logement. Le pollueur payeur n’est plus l’entrepreneur mais le salarié ou le retraité, avec plus de besoins à financer. Mais il ne s’agit plus d’une pollution qui fait taxer une entreprise ou à un secteur, ni de sanctionner pour compenser sa nocivité, ou encore de l’amener à changer, mais d’un phénomène global. Il dépend des activités de tous, depuis longtemps. Le payeur devient alors l’état, autrement dit les ménages et les entreprises, aujourd’hui et surtout demain, par la dette publique. Il s’agit de faire changer tous les comportements de tous, au moins de le promettre.
Mais ce n’est pas encore assez de passer du pollueur payeur au pollueur payé par tous, quand on songe que les dérèglements climatiques majeurs touchent plus les pays pauvres, fortes chaleurs ou pluies diluviennes, et sans qu’ils puissent s’en protéger. L’idée vient alors, maintenant, que les « pays riches » les aident. Ainsi, à la COP 27 de Charm el Cheik en Égypte, sachant que plus de 90% des émissions de CO2 viennent de pays qui se sont déjà engagés à la décarbonation à la fin du siècle, il ne s’agit plus d’une course à des engagements plus contraignants (et spectaculaires), mais de faire en sorte que les engagements pris, soient tenus.
Pollueur payé par les riches ? 200 millions de dollars sont décidés pour compenser les conséquences subies par les pays « particulièrement vulnérables ». On dira que c’est très peu, compte tenu des besoins et des moyens de ces pays. En fait, il s’agit du tout début d’une réforme dans l’utilisation des fonds multilatéraux de soutien au développement. La COP 28 (à Dubaï) devra préciser les sommes et les structures nécessaires, sachant que traiter les rapports Sud/Nord devient crucial pour l’efficacité des COP à venir. On peut penser aussi qu’il s’agit d’exercer une pression sur la Chine, très important pollueur, pour qu’elle contribue à ces fonds, sachant qu’elle prétend toujours être un pays en développement. Ce statut favorable sous lequel elle était entrée à l’OMC en 2001.
Pollueur payé par les vieux pollueurs ? Oui pour l’essentiel, avec plus des Etats-Unis, mais les nouveaux pollueurs devenus riches pour n’avoir jamais payé doivent cotiser. Tous pollueurs, tous payeurs !