Un baril (159 litres) de pétrole brut WTI (West Texas Intermediate) coûte 42 dollars. Au plus bas de la crise, fin 2009, c’était 39. Mi 2014, c’était plus de 100. D’où vient la chute ? Avec quels effets ?
Chute d’abord : Arabie saoudite contre pétrole de schiste américain. L’histoire commence avec le ralentissement chinois, sans que les chiffres l’aient annoncé : ceux qui remplissaient les citernes et en construisaient d’autres se disaient bien que quelque chose clochait. Pendant ce temps, les Etats-Unis creusaient deux mille puits pour extraire leur pétrole de schiste. Le lobbying y faisait changer la loi qui interdisait aux Etats-Unis d’exporter du pétrole, une loi née du choc pétrolier de 1973 et destinée à garantir l‘indépendance énergétique du pays. Quoi : des Etats-Unis non seulement autosuffisants en pétrole mais plus encore exportateurs, au moment où la Chine ralentit ! Comment l’Arabie saoudite va-t-elle réagir ? Choc : elle fait savoir qu’elle veut maintenir « sa part de marché mondiale ». Avant, quand la demande fléchissait, les Etats-Unis restant chez eux, elle s’ajustait. Elle réduisait son offre et calmait la baisse des prix. Mais, si les Etats-Unis veulent exporter, alors l’Arabie saoudite dit : « que le meilleur gagne », autrement dit : « le moins cher ». Les marchés refont leurs calculs : si la demande fléchit et pas l’offre, les prix vont s’effondrer. C’est ce qui se passe : les nouveaux puits américains ferment, leur production a disparu.
Baisse stratégique : Arabie saoudite contre offreurs installés. Dans une économie mondiale qui ralentit, notamment chez les pays émergents gros consommateurs de pétrole tandis que les pays industrialisés l’économisent de plus en plus dans leurs usines, leurs appartements et leurs autos, le paysage énergétique change. La réunion mondiale à Paris, COP21, veut réduire les « gaz à effet de serre ». La demande mondiale de pétrole va croître de moins en moins. Chacun s’engage à faire des efforts, l’Arabie saoudite aussi – bien sûr. Donc il lui faut… continuer à produire au moins autant pour alimenter sa propre transition énergétique et… pousser à la fermeture des puits moins efficaces, bien sûr.
Baisse antiterroriste : tous contre Daesh. Le pétrole lui fournit le tiers de ses ressources, les bombes complèteront, en attendant la suite.
Baisse politique : l’Arabie saoudite « prospecte » les marchés européens. Des informations fusent, info ou intox, sur ses propositions de livraison à l’Europe, une Europe trop heureuse de desserrer sa contrainte énergétique russe, notamment la Pologne. Ce pétrole viendrait pour voir comment il pourrait être raffiné ici , sachant qu’il est plus lourd que le russe.
Bataille bientôt ? Arabie saoudite contre Iran ? Bien plus grave. En 2010, l’Iran exportait 2,5 millions de barils par jour, jusqu’aux sanctions américaines de début 2012 : moins 500 000 barils par jour, puis au boycott européen : moins 1 million de barils par jour. L’Iran, s’étant engagé en matière nucléaire, veut désormais « reprendre sa part de marché ». En juillet 2015, la Banque mondiale publiait un rapport sur les effets positifs pour l’économie iranienne de l’arrêt des sanctions. Un sommet de naïveté. L’Iran aurait plus de croissance et d’emploi, avec une baisse du prix du pétrole de 14 % seulement (soit 10 dollars le baril en 2016), les autres exportateurs ne faisant pas de « réponse stratégique », autrement dit ne baissant pas leurs prix !
Pétroliers contre pétroliers ? Un pétrole moins cher, c’est moins de marges, donc une concentration de l’industrie, hors « majors ». La baisse touche d’abord les sociétés de services pétroliers. Elle empêche ensuite les compagnies de petite et moyenne taille d’investir, autrement dit de valoriser leurs réserves, tout en les faisant économiquement baisser. Elles vont chercher plus gros et plus cash rich qu’elles. Le rachat de BG Group par Shell en avril ouvre la voie d’une nouvelle vague de fusions.
Pétrole contre économies pétrolières ? L’Arabie saoudite prépare une guerre d’endurance. Son déficit budgétaire va vers 20 % du PIB. Il lui faudra faire des économies et « revoir son modèle ». Pas endettée, elle va solliciter son marché obligataire. Elle est la mieux pourvue de toutes. Mais que deviendront le Venezuela, le Nigéria, l’Algérie ?
Pétrole contre tous ? Qui achètera les bons du trésor américain… et français ? Qui achètera les titres que vendront les fonds souverains ? Pétrolier-pétroleur, c’est pire que pompier-pyromane.
Voir sur ce sujet Le peak oil, le Zoom du 26 novembre.