Peut-on demander plus d’engagements aux entreprises… sans leur permettre plus de profit ?

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Peut-on demander plus d’engagements aux entreprises…  sans leur permettre plus de profit ?

Ce qui vient de se passer chez Danone, une « entreprise à mission » (« apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre ») qui a vu « partir » son Président pour manque de résultats, en a réveillé plus d’un. Les entreprises, en France, gagnent moins que leurs grands concurrents : leur Excédent Brut d’Exploitation rapporté à leur Valeur Ajoutée est de 30%, contre 35 à 37% pour les entreprises en Allemagne. Mais, nous dit-on, ceci ne devrait pas les empêcher de s’occuper davantage ici du bien-être de leurs clients et de leurs salariés, sans oublier l’environnement et, si possible, leurs actionnaires. Pas facile !

Désormais en effet, la « responsabilité sociale et environnementale » (RSE) s’impose à elles, sans que l’on soit à même de définir avec précision ces deux champs, le social et l’environnemental, moins encore le concept de « responsabilité » et surtout en tirer les conséquences en termes de gestion et de profitabilité. Ajoutons que tout ceci se déroule en pleines révolution technologique et montée des tensions géopolitiques, face à des régimes plus ou moins libéraux et transparents, ce qui ne simplifie rien. Mais la loi est votée, et nul n’est censé l’ignorer !

Le temps semble donc bien loin, où la responsabilité des entreprises était de maximiser le profit pour les actionnaires. On aura reconnu le modèle de Milton Friedman de 1970. Que n’a-t-on critiqué cet article du New York Times Magazine du 13 septembre 1970, où il écrivait que la seule responsabilité d’une entreprise consistait « à utiliser ses ressources et à s’engager dans des activités destinées à accroître ses profits, pour autant qu’elle respecte les règles du jeu, c’est-à-dire celles d’une compétition ouverte et libre sans duperie ou fraude » ! Mais le prix Nobel de 1976 est quand même plus subtil et surtout plus politique que l’interprétation sommaire que l’on a faite de son article.

Milton Friedman s’y énerve en effet, quand il entend des entrepreneurs parler des « responsabilités sociales d’une entreprise dans un système libéral ». Pour lui, une entreprise n’a pas de responsabilité, mais les hommes oui, en fonction des relations hiérarchiques qu’ils ont entre eux, à partir des objectifs des propriétaires, c’est le profit le plus souvent, dans le cadre des lois. Par différence, les hommes d’entreprise qui prennent le chemin de responsabilités sociales pêchent pour lui du « pur et simple socialisme » !

On comprend que ces propos ne laissent pas sans réaction, par rapport à toute la littérature qui s’est développée ces dernières années. Elle a mis en avant les imperfections des marchés, la complexité des organisations, la montée des pouvoirs managériaux ou l’ensemble des contrats, plus ou moins précis, qui en lient les membres entre eux… le tout pour parvenir à l’idée que le profit est un objectif essentiel, mais pas unique, et que l’entreprise concerne un ensemble de « parties prenantes ». Ce sont les actionnaires, les salariés, les clients, les fournisseurs, les consommateurs, sans oublier les ONG, collectivités locales et, de plus en plus, des réseaux de toutes natures. Bref : tout.

L’entreprise d’aujourd’hui se trouve ainsi prise dans un univers de plus en plus complexe et réactif. Elle avance au milieu de mouvements vifs et imprévisibles, ce qui ne peut que tendre les contradictions entre ses diverses parties prenantes, avec les coûts que ceci implique par rapport à la disponibilité à payer de ses clients et au profit qui en résultera, in fine.

Friedman est bien au courant de ces réalités : elles n’ont pas changé de nature depuis son article vengeur. Il cite alors, sans précision, « ce Français de 70 ans qui découvre qu’il a fait de la prose toute sa vie ». Nous voilà avec le Bourgeois gentilhomme : Monsieur Jourdain est un homme d’entreprise qui gère au mieux les problèmes qui viennent, au milieu des injonctions contradictoires qui s’entassent !

Ne soyons donc pas surpris, dans ce monde plus exigeant, si ceux qui ajoutent les règles sans souci de leurs impacts économiques, découvrent que l’économie privée est, en France, sous industrialisée, suradministrée, sous-employeuse, sous profitable, donc surendettée. On peut ajouter les bonnes raisons et les théories élégantes, mais on ne peut éviter, même en la rendant plus complexe, la « prose du profit quotidien » !

Le vrai problème est en fait d’expliquer que les bons sentiments ou les idées généreuses ne suffisent pas à faire produire et vendre de manière rentable, si l’on veut continuer à exister, s’étendre et embaucher. Le capitalisme qui réussit, obéit aux lois et répond aux contraintes qui montent avec le progrès, est, aussi, social bien sûr… sauf si on l’étouffe sous les bons sentiments.


SEP

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