Démission du n°1 de la Bundesbank, la politique monétaire européenne (et l'inflation) en roue libre ?

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Démission du n°1 de la Bundesbank, la politique monétaire européenne (et l'inflation) en roue libre ?

Le patron de la banque centrale allemande, Jens Weidmann, quitte ses fonctions. Ses désaccords avec la politique monétaire que mène la BCE et le changement de gouvernement outre-Rhin peuvent expliquer le départ de ce gouverneur, qui a fait de la lutte contre l’inflation son cheval de bataille.

Jens Weidmann. Ce nom ne vous évoque sans doute pas grand-chose. L’homme détient pourtant une place importante outre-Rhin : c’est le patron de la banque centrale allemande (la Bundesbank ou BUBA). L’équivalent de « notre » François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, dont les missions consistent à conduire la stratégie monétaire du pays et à veiller à sa stabilité financière.

Mi-octobre, après plus de dix ans de bons et loyaux services, Jens Weidmann a annoncé sa démission. Pour justifier ce départ anticipé, l’Allemand évoque des « raisons personnelles ».

« Mais évidemment, quand vous travaillez dans une banque centrale, vous ne pouvez pas dire la vérité dans ce contexte. Vous n’avez pas de liberté de parole », explique Thibault Laurentjoye, économiste spécialiste des questions de politique monétaire.

En connaissant les positions anti-inflationnistes du gouverneur allemand, il est clair que ses désaccords avec la Banque centrale européenne (BCE) l’ont poussé à partir avant la fin de son mandat, initialement prévue pour 2027.

 

Colombe ou faucon ?

Pour bien comprendre ces tensions, rappelons que les 19 dirigeants des banques centrales de la zone euro, forment, avec six membres du directoire, le Conseil des gouverneurs.

Il s’agit de l’organe principal décisionnaire de la BCE. Présidée par Christine Lagarde, cette institution définit la politique monétaire de la zone euro. Ce sont eux qui, par exemple, décident s’il faut augmenter ou baisser les taux directeurs

Si historiquement, la communication de l’institution visait à installer l’idée que les décisions faisaient consensus au sein du Conseil des gouverneurs, on admet désormais qu’il peut y avoir des divergences.

Ces discordances ont même amené à des catégorisations, nous explique Christophe Blot, directeur adjoint de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). On parle ainsi des « faucons », attachés à une stabilité des prix, qui prônent une politique monétaire restrictive, moins expansionniste. Et des « colombes », plus laxistes.

Les convictions des membres du Conseil ne sont pas ouvertement communiquées, mais personne ne doute du fait que Jens Weidmann soit un « faucon ».

Problème ? « Environ les deux-tiers du Conseil des gouverneurs sont des “colombes”. La théorie économique de Weidmann, anachronique et à contre-courant, est donc celle dont beaucoup ne veulent plus », complète Thibault Laurentjoye.

 

La lutte contre l’inflation

Le dirigeant de la Bundesbank l’assume : il a fait de la lutte contre l’inflation, véritablement haïe en Allemagne, son cheval de bataille au cours des dix dernières années. Lorsque Mario Draghi, alors président de la BCE, a rendu la politique monétaire plus expansionniste, Jens Weidmann a ouvertement critiqué les mesures dans la presse.

L’Allemand s’est aussi montré réticent face à l’arsenal de mesures mis en œuvre pour soutenir l’économie après la pandémie. Pour Weidmann, il serait temps de resserrer la vis du crédit et de remonter les taux d’intérêt. Ce qui n’est pas du tout à l’ordre du jour à Francfort : ce 28 octobre, Christine Lagarde a encore affirmé que la BCE allait maintenir toutes ses mesures de soutien à l’économie, malgré la forte poussée de l’inflation.

Ce point de crispation, on le ressent d’ailleurs dans la lettre de démission du gouverneur de la BUBA où il juge « crucial de ne pas considérer seulement les risques de déflation, mais aussi de ne pas perdre de vue les risques d’inflation potentiels, qui suggèrent une politique monétaire plus restrictive ».

Il persiste et signe : « La politique monétaire devra respecter son mandat étroit et ne pas se laisser entraîner par la politique budgétaire ou les marchés. »

« “Étroit”, c’est en effet l’idée que le patron de la BUBA se fait du mandat de la BCE : l’inflation à 2 % à moyen terme », explique l’économiste et professeur émérite à Paris-II Jean-Paul Betbeze.

 

Des biais nationaux

L’un des problèmes de Jens Weidmann aura peut-être été ses œillères germaniques. « Or la politique de la BCE ne peut pas être celle de la BUBA, avec sa doctrine monétariste. La zone euro, ce n’est pas juste une grande Allemagne », poursuit l’expert.

C’est là une limite du Conseil des gouverneurs de la BCE, complète Christophe Blot car « chacun des membres de l’institution est censé prendre des décisions conformes à l’intérêt de la zone euro. Ils n’y vont pas pour défendre leur pays, ce qui irait à l’encontre de leur mandat, mais pour mener une politique monétaire adaptée à l’espace commun ».

Toutefois, il y a forcément des biais, reconnaît le directeur adjoint de l’OFCE : « En tant que dirigeant de la Bundesbank ou de la Banque de France, vous avez forcément plus d’informations sur la situation, les problèmes économiques de votre pays. »

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Indice des prix à la consommation en Allemagne – variation par rapport au même mois de l’année précédente (Source : Destatis)

 

Un changement politique

Et puis, il y a l’aspect politique. La démission de Jens Weidmann coïncide avec le départ de la chancelière Angela Merkel à la tête de l’Allemagne.

Le gouvernement de coalition, en cours de formation, devrait être mené par le parti social-démocrate (SPD). « Il est donc possible que les positions de Weidmann, conservateur sur le plan politique, soient encore moins défendues à l’avenir et que le SPD nomme un gouverneur un peu moins ‘faucon’ à la tête de la Bundesbank », suggère Christophe Blot.

L’actuelle membre du directoire de la BCE, Isabel Schnabel est pressentie pour prendre la suite. Une femme plus en phase avec les orientations de la BCE. « Elle s’inscrit dans un consensus selon lequel il faut essayer de normaliser les taux d’intérêt et en même temps, qu’une inflation plus haute que la fourchette habituelle serait acceptable pendant un moment », détaille Thibault Laurentjoye.

Qui plus est, l’Allemande est présente sur les questions climatiques et envisage de faire de la soutenabilité environnementale un objectif de politique monétaire.

Un bon point à l’heure où la présidente Christine Lagarde évoque un potentiel financement de la transition énergétique par la BCE. « Jens Weidmann ? Jamais il n’aurait accepté ça ! » s’exclame Jean-Paul Betbeze. Et de conclure : « C’est donc bel et bien la théorie monétaire de la zone euro qui l’emporte. »


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