Bourse, pourquoi cette phobie de l’inflation ?

- Ecrit par

Bourse, pourquoi cette phobie de l’inflation ?

Les marchés boursiers n’ont pas tort de s’inquiéter, pris d’un côté par des signes manifestes de bulles (Tesla, Twitter) et d’un autre côté par le pincement des marges futures, venant de la hausse des taux longs.

 

En publiant vendredi 29 avril ses derniers chiffres de conjoncture pour la France, l’Insee confirme un ralentissement de la croissance et une poussée de l’inflation. Dans le contexte international tendu, Jean-Paul Betbeze explique pourquoi les marchés financiers sont fébriles et ont raison d’être inquiets.

8,5% : c’est le chiffre de l’inflation aux Etats-Unis. Il affole les bourses et pousse les responsables de la Banque centrale américaine, la FED, son Président Jerome Powell en tête, à dire qu’ils vont redoubler d’efforts pour calmer cette irruption. 7,4% : c’est le chiffre de l’inflation en zone euro, un chiffre qui pousse Christine Lagarde à arrêter ses programmes d’achats de bons du Trésor, et à parler de remonter ses taux courts. Mais, hausse des taux courts ou pas, aux Etats-Unis et en zone euro, l’inflation agit de toute manière par la hausse des taux longs. Les voilà à 2,8% aux États-Unis, à 0,8% en Allemagne, 1,3% en France et 2,6% en Italie.

Les raisons s’ajoutent pour expliquer cette accélération de l’inflation. La première est la sortie du Covid, par un «effet ressort», après la crainte de déflation au pire de la pandémie avec, aujourd’hui encore, l’assistance qui demeure des politiques budgétaires et monétaires de soutien. La deuxième raison de cette résurgence, si surprenante après ces années miraculeuses de « grande modération » des prix, alors que la croissance était soutenue, vient des effets conjoints de la crise du Covid et des tensions avec la Chine. Ils mettent à mal la fluidité des anciennes chaînes mondiales de production. Ce sont, à la fois, des arrêts de production en Chine, par exemple en matière de puces électroniques et des ports embouteillés. La troisième raison est évidemment liée à la guerre en Ukraine qui fait monter les prix des matières premières et énergétiques (gaz & pétrole), mais aussi des produits alimentaires (blé) et des engrais. Ces trois raisons s’ajoutent et s’interpénètrent.

La peur d’une inflation cumulative

Dans ce contexte, la bourse s’inquiète d’une inflation qui deviendrait cumulative. Elle ferait monter les salaires et échapperait à l’effet calmant de la hausse des taux courts. Les marchés se disent que hausser les taux courts ne fait ni venir plus de gaz, ni pousser du blé ! L’inquiétude boursière fait penser que les profits seraient peu à peu laminés et, pire encore, que les anticipations de croissance s’inverseraient aux États-Unis.

La crainte est celle de taux courts qui passeraient au-dessus des taux longs : la fameuse « inversion de la courbe des taux ». Pour la mesurer, il faut, aujourd’hui, prendre en considération les taux à deux ans : 2,6%, comparés aux taux à trente ans, à 2,9%, qui sont tous deux des taux de marché, « libres » de l’influence baissière qu’exerce la FED sur les taux courts et sur les taux à dix ans, conséquence d’années de quantitative easing. La pente de ces deux taux, 0,3% (2,9% – 2,6%), est si faible que la bourse américaine s’interroge sur le risque d’une récession, provoquée par des anticipations négatives.

Un phénomène aggravant en zone euro

Dans ce contexte, l’inflation en zone euro est un phénomène aggravant, comme celles aux Canada, en Australie et, plus encore, au Royaume-Uni. Pour les marchés boursiers, cette inflation multiforme risque de pousser les Banques centrales à un concours de hausses de taux, alors que la reprise économique en zone euro bien sûr, et même aux Etats-Unis, n’a pas permis de résoudre les problèmes de la récession de 2007-2008.

En zone euro en particulier, la hausse des taux longs risque de poser un problème grave à l’Italie, qui est très tributaire du gaz et des produits alimentaires russes et ukrainiens. C’est bien ce risque Italie qui revient, comme en 2012, qui pousse la BCE à freiner autant que possible la hausse de ses taux courts, au prix de l’affaiblissement de l’euro à 1,05 face au dollar.

Au total, l’inflation actuelle inquiète les bourses parce qu’elle peut être un signe annonciateur de récession américaine, donc au moins de décélération mondiale. Pour l’heure, les difficultés arrivent en plus dans les pays émergents qui doivent faire face à la hausse des taux longs sur leur dette et à la montée du dollar, plus à l’inflation alimentaire et énergétique, tous éléments de nature à susciter des défauts de paiement. D’ores et déjà, pour éviter une montée des tensions sociales dans ces pays, le FMI et la Banque Mondiale doivent mettre en place des programmes de rééchelonnement des dettes. Cela suffira-t-il ?

Les marchés boursiers n’ont pas tort de s’inquiéter, pris d’un côté par des signes manifestes de bulles (Tesla, Twitter) et d’un autre côté par le pincement des marges futures, venant de la hausse des taux longs. Ils peuvent toujours se dire que la révolution technologique se poursuit, il n’empêche que les nuages s’amoncellent, géopolitiques et sociaux cette fois.


Boursorama

Aller sur le site