Les marchés financiers sont-ils fétichistes ?

- Ecrit par

Oui, mais pas seulement. Oui, devant eux, face à ce futur qu’ils ignorent, comme nous tous, ils plantent des repères, des marques, des signes, des chiffres ronds en général, entre totem et tabou. Ils craignent aussi des jours fatidiques : le vendredi 13 bien sûr, mais aussi les anniversaires des grands krachs boursiers (jeudi noir du 24 octobre 1929 ou 6 octobre 2008 des subprimes), sans oublier les « quatre sorcières », troisièmes vendredi des mois de mars, juin, septembre et décembre, où se soldent les grands contrats financiers à terme sur la Bourse de New York. Bref, la forêt financière est noire et hantée, et il faut y avancer !

 Les marchés financiers sont-ils fétichistes ?

Prenez ce qui se passe sur le rendement des emprunts d’état américains à 10 ans. Tantôt il est au-dessus de 3%, tantôt au-dessous. Une véritable ligne de démarcation, comme entre les deux Corées ! A ceci près qu’une telle ligne n’existe pas, ou plutôt qu’elle n’existe que parce qu’elle est espérée ou crainte. Espérée par certains participants sur les marchés financiers. Ils se disent que la croissance américaine reste soutenue, même après le léger fléchissement de ce début d’année. Bientôt, elle repartira plus fort avec un taux de chômage au-dessous de 4%, donc avec des hausses de salaires, puis des prix, puis des taux courts de la banque centrale américaine, donc des taux longs. Alors le 3% sera dépassé, parce que tout ira mieux ! Crainte par d’autres, qui savent bien que ce rendement à 10 ans n’a pas de raison de rester au-dessous de 3% quand l’inflation est à 2,4%, les taux courts à 1,75%, et que la Fed prévoit de les faire passer à 2,1% fin 2018 (au moins), puis à 2,7% fin 2019 et 3,1% fin 2020. Mais ce mieux économique qui fera monter les taux, le fera d’autant plus qu’il y aura plus d’inflation. Les taux monteront partout, fragilisant certains ménages et surtout les entreprises surendettées, renforçant le dollar. Tout ceci pèsera sur la croissance, les profits attendus, et donc la bourse. 3%, c’est le chiffre qui dit que la croissance américaine va mieux, donc qu’elle ira plus mal ! D’où l’idée de pousser le totem plus loin, vers 3,5 puis 4%, en espaçant les hausses de taux, en « parlant aux marchés » (aux esprits ?) par la forward guidance. Le rêve est d’obtenir l’éloignement maximum. Deux ans ?

Prenez ce qui se passe à la bourse de Paris, avec le 5 500 du Cac 40. Il fait aujourd’hui figure de montagne atteinte, mais instable, comme en novembre 2017 puis début 2018. Elle est quand même bien loin des 6 068 du 4 mai 2007 et des 6 813 du 1er septembre 2000 ! Et où est donc le 6 922 du 4 septembre 2000 ? Quand le reverrons-nous ? Pour avancer dans la forêt boursière, en nous répétant sans cesse que « les arbres ne montent pas au ciel », nous nous disons quand même qu’ils furent plus haut qu’aujourd’hui et que « la bourse est le meilleur placement à long terme ». Et des grincheux font remarquer que c’est une belle chose de nous pousser tous vers la bourse pour financer notre retraite, mais que l’on ne nous dit pas avec quel argent les « jeunes » achèteront les titres des « séniors », quand ils les vendront pour payer leurs vieux (et nombreux) jours. Dans dix, vingt ans ?

Les marchés sont fétichistes, et aussi calculateurs. Ils mettent leurs calculs devant eux pour baliser le futur. Car ce futur ne peut être que fétichisé : il faut que plus d’acheteurs croient que la bourse va monter, pour qu’elle monte. Et plus l’écart entre ces deux groupes est important, plus elle monte. Bien sûr, on entendra de plus en plus les voix des inquiets et des « rationnels » qui nous disent qu’il y a mieux à faire, qu’il faut être plus liquide, plus américain ou chinois, que le krach approche. Mais rien n’y fait. Nous irons plus loin, dans la forêt plus noire et plus pentue.

Ce n’est pas grave si nous acceptons le jeu de la croissance, de l’innovation et du risque. Le capitalisme explore, détruit et reconstruit, sans trop savoir où il va. Soif du profit, esprit d’entreprise ou « esprits animaux », haine du quotidien et peur de l’ennui, il change et disrupte. Bien sûr, il faut canaliser ses forces, réguler et légiférer, mais pas trop.

Alors, faute de savoir où ceci nous mène, nous donnons vie à la finance. « Le » Cac 40 va tester 5 500, après une « nécessaire respiration ». « Le » 10 ans américain est « attiré » par 3% et a confiance dans « la » Fed, en attendant de voir comment elle va s’opposer à Trump. Hommes contre fétiches : l’intelligence est très artificielle !