Cher Emmanuel,
Je suis un peu courroucé d’entendre, en permanence, que vous seriez « le Jupiter français » – et même que cette épithète pourrait venir de vous. Car ceci est dangereusement faux. D’abord, il n’y a qu’un seul Jupiter au monde. C’est un Dieu, pas un mortel : moi. Ensuite, mon père est Chronos et ma mère Rhéa, autrement dit je suis le fils du temps et de la terre. Mais votre temps, à vous, est compté : cinq ans normalement, dix au plus. Et vous êtes sur votre terre à vous, un tout petit bout de la mienne. Comment donc vous comparer à mon immortalité et à mon omniprésence ?
Plus ridicule encore que faux, on dit que vous exercez un pouvoir « vertical » ! Or moi, Jupiter, je suis bien connu pour mes aventures… horizontales ! D’ailleurs, votre épouse, latiniste, a bien compris les limites de cette comparaison journalistique ! Conseillez donc à ceux qui les font de se renseigner sur moi.
Revenons sur votre lopin de terre, votre royaume temporaire qu’on appelle la France : bonne chance pour la gérer et la faire changer ! Moi, je peux, car je sais tout, je suis éternel et sais faire peur. J’ai les dieux, les demi-dieux et les alliés qui plient devant moi – ce qui ne les empêche pas (bien sûr) de jouer entre eux. Mais moi j’ai la foudre, et vous les mails !
Je le reconnais, vous avez très bien joué et le sort vous fut favorable. Disons… que j’y suis pour quelque chose. Vous avez su bénéficier à merveille des batailles de tous vos opposants politiques, ces demi-dieux qui m’énervaient tant. Occupés à leurs jeux dépassés, ils ne vous ont pas vu venir et vous ont laissé la voie ouverte ! J’étais là, mais vous avez bien manœuvré !
Les demi-dieux de la droite, tout à leur jeu Primaire, ont laissé échapper une victoire certaine. Pire même que ceux de la gauche. Votre demi-déesse locale d’extrême droite est encore là et tente de se refaire. Ici aussi, nous avons nos Erinyes.
Et votre demi-dieu d’extrême gauche n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi il rate régulièrement le Capitole, de peu croit-il, et va chaque fois vers la Roche Tarpéienne ! Alors qu’il se prenait pour Dieu, le voilà qui vitupère et m’insulte. Surtout, il ne comprend pas que les Français se plaisent à l’écouter, rient de ses saillies et hologrammes, mais sans plus, surtout pas plus. Suspendu en l’air, nul ne sait vraiment de quoi il est fait et où il se dirige. Il fait rire, juste avant d’inquiéter ! Je m’en méfie – faites de même. Je crois que les Français aiment les histrions, mais pas pour qu’ils les gouvernent. Ils aiment ses phrases vengeresses, mais pas pour qu’il les applique.
Et vous voilà donc, caprice des Dieux peut-être, effet de ma bienveillance sûrement, aux Champs-Élysées. Ils vous sont ouverts ! Bienvenue dans votre Olympe, toute pleine de rancœurs et de ragots, tout comme la mienne. Méfiez-vous de vos opposants et plus encore de vos amis et alliés : c’est toujours comme ça. Et, chez vous, tout est à l’échelle.
Et, puisque vous êtes le « Jupiter français », voici quelques conseils.
D’abord, restez (intellectuellement) fidèle à Junon, votre épouse ! Elle vous aidera toujours, même si elle n’est pas toujours contente de vos mots – et d’ailleurs vous le dira – tout comme la mienne. Et n’oubliez pas : le temple de Junon à Rome était près du lieu où se frappait la monnaie, Juno moneta. C’est elle, avec ses oies, qui a réveillé les Romains quand les Barbares commençaient à envahir la cité ! Donc : toujours avec Junon et avec le sérieux monétaire !
Ensuite, il vous faut Mars et Minerve, la guerre et la sagesse, la force, la diplomatie et la culture. Voilà deux importants postes ministériels ! Mais rien n’est possible sans Vulcain à la forge, à l’industrie et maintenant aux services. Ce n’est, au fond, pas si compliqué : quelques postes. Mais rien ne marche sans une histoire partagée et un projet commun.
Et vous, en France, ne semblez partager ni passé, ni futur communs ! Il y a chez vous les riches contre les pauvres d’un côté, ploutocratie contre démocratie, et les métèques (les étrangers !) contre les citoyens de l’autre, envahisseurs contre cité. Vous n’irez pas bien loin avec ce double attelage ! Alors, croyez-moi, offrez-vous de nouveaux Homère et Virgile, quelqu’un qui vous chantera et vous enchantera tous.
Bien sûr, tout ceci est facile, depuis mes Champs Elysées – les vrais. Mais je vous aime bien : la preuve ! Donc faites attention à réussir vos premiers pas. Soyez foudroyant et… Jovial !