Le dollar va-t-il céder, face à la lente érosion que lui fait subir le yuan ? Le yuan va-t-il continuer sa progression, très graduelle, dans sa part de marché des échanges mondiaux, en passant par ses « routes de la soie » ? Va-t-il, plutôt, l’accélérer, la doubler par d’autres manœuvres, et lesquelles ? L’euro va-t-il profiter de ce conflit monétaire mondial non déclaré ? Comment ? Ou bien d’autres monnaies vont-elles se mettre de la partie, ou alors le bitcoin ? Ou encore des monnaies digitales émises par les Banques centrales européenne, chinoise et américaine, notamment, vont-elles entrer dans la danse ? De fait, la concurrence monte, de toutes parts.
Pourtant, le dollar reste la grande monnaie mondiale. C’est toujours celle des vainqueurs de la Deuxième guerre. Elle domine, après l’érosion qu’elle a fait subir à la Livre sterling des années durant, jusqu’à la victoire des années quarante. On connaît les ingrédients pour obtenir une « Grande » monnaie : une grande armée, omniprésente, une grande économie, omniprésente aussi, un grand système d’informations, de règles comptables et de droit, une banque centrale puissante, des structures mondiales politiques, monétaires et de financement dominées par elle… et que l’on compte en dollars les prix du pétrole et du blé. Bref, tous les chemins mènent à Washington, en passant par Harvard, la Fed, le FMI, la Banque mondiale ou les GAFAM.
Tout ceci ne va pas disparaître, même si des articles de presse annoncent la longue phase baissière annoncée du dollar au bénéfice de l’euro en 2023, après que d’autres écrivent que 2022 a marqué une grande période de hausse ! En fait, le dollar représente toujours plus de 40% des transactions commerciales mondiales et 60% des réserves de change. On dira que ce n’est plus 70% de ces dernières comme il y a vingt ans. Mais les 10% perdus ont été « gagnés » par le dollar australien, par le dollar canadien et le yuan… ensemble. Rien de rapide, donc.
Rien de rapide, car les grandes monnaies se surveillent par l’intermédiaire de leur commun objectif d’inflation : 2% à moyen terme avec les hausses de taux qui permettent de l’obtenir, pour ne pas parler des taux de change que ceci implique. Chaque banque centrale, tel un coureur dans son couloir, regarde « son inflation » et pas ce que fait l’autre, pour éviter « officiellement » une guerre des changes. En réalité, le poids du dollar lui fait mener la cohorte des grandes monnaies. Mieux encore, le Trésor américain publie, deux fois l’an, un rapport pour pister celles qui manipulent leurs changes. Le Franc suisse freinerait sa montée par rapport au dollar ; le yuan organiserait sa baisse. On conçoit que ce rôle de juge peut énerver.
Énerver, quand le déficit budgétaire américain ne cesse d’augmenter et quand, pire encore, le plafond de la dette publique autorisé par le Congrès fait l’objet d’un jeu de bras de fer avec la Maison blanche, sur fond de risque de défaut de la dette souveraine américaine. Le miracle du dollar, c’est d’alimenter sa fonction de garantie à partir de son déficit commercial et budgétaire, que personne ne le dénonce, même si tous s’en inquiètent. Peut-être parce qu’ils en profitent !
En face, le yuan évite le dollar dans ses transactions avec les routes de la soie et ses achats de pétrole avec l’Arabie saoudite. De plus en plus, les échanges entre grandes monnaies émergentes se font directement, sans passer par le dollar et son système mondial de compensation (SWIFT), qui lui donnait des pouvoirs… et des informations. Mais le financement des investissements de ces mêmes routes de la soie implique des crédits risqués et à long terme à des pays fragiles. La Chine se trouve à devoir faire des rééchelonnements et des abandons de créances, auxquels elle n’était pas accoutumée. Ce sont des pertes, pour le premier créancier des pays émergents. En même temps, sa situation interne inquiète, entre ralentissement économique et menace de déflation, la poussant à soutenir son secteur privé. Un secteur dont le Président Xi reconnaissait en 2018 qu’il représentait 80% de l’emploi urbain et 90% de l’emploi futur.
Pour être monnaie mondiale de réserve, pas seulement de transactions, il faut donc que les autres pays la jugent suffisamment puissante et crédible pour gager la leur sur ses déficits budgétaires, donc qu’elle donne assez d’informations sur ce qui se passe chez elle. Les Etats-Unis le font, pas évident que la Chine le veuille. Donc le dollar demeurera.