La France va chez son Docteur

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 La France va chez son Docteur

P, la patiente : Docteur, je ne me sens pas « très bien ».

Dr, le Docteur : Alors, qu’avez-vous ?

 

P : Voilà : je regarde la télévision, j’écoute la radio, je lis la presse et je ne me sens « pas très bien »… du tout.

Dr : C’est normal : c’est fait pour ! Limitez les doses : 30 minutes d’infos par jour, avec trois articles au maximum. Mais vous pouvez voir du sport et écouter de la musique à la place.

 

P : Merci, je vais commencer. N’empêche : je ne comprends pas comment équilibrer les comptes de la retraite en partant, moi, plus tôt, pour toucher plus de pension.

Dr : Simple : dyscalculie !

 

P : Chez moi ?

Dr : Non, chez les députés.

 

P : Ouf… mais au fond c’est pire. Ils ne savent pas compter, ou ne le peuvent, ou n’osent pas ? J’ai aussi un vrai problème pour trouver mon équilibre : si j’essaie de bouger, même un peu, j’ai le sentiment d’aller à un extrême, soit à droite, soit à gauche.

Dr : Ici : hypermétrie.

 

P : Chez moi ?

Dr : Oui, mais sous l’influence des députés et plus encore des médias, encore une fois. Il faut, pour eux, être cité, clivant, fuir le mainstream et souvent le pur bon sens. Alors, au moindre de vos mouvements, votre tête se croit secouée, ballotée, critiquée. Donc, vous vous trouvez poussée à un bout de l’échiquier politique, n’importe lequel. Mais ce n’est pas votre faute : il faut bien qu’ils vivent, eux. C’est tout ?

 

P : Ouf… mais non. Je perds toute capacité à me rééquilibrer quand je suis ainsi secouée, même un peu.

Dr : Là : vertige vestibulaire.

 

P : Chez moi ?

Dr : Oui cette fois, mais normalement ça touche plus âgé que vous. Je crois que ce qui vous arrive est toujours ce dont vous vous plaigniez au début : vous vivez sous le stress exacerbé de la crise. Vous entendez toujours : chômage, pauvreté, ruine. Ce n’est pas faux, mais toujours présenté comme irréversible, sans solution française ou européenne. Et alors, on vous dit que les hôpitaux seront bondés, quand vous serez vraiment malade. C’est tout ?

 

P : Ouf, donc je ne suis pas « vraiment malade ». Mais…

Dr : Mais quoi ?

 

P : Quand j’entends les politiques qui ne se rappellent pas ce qu’ils ont dit, ce qu’ils ont voté, je me demande…

Dr : Quoi ?

 

P : Je me demande si je ne suis pas victime d’une anti-maladie d’Alzheimer, où je n’oublierais pas le passé récent, mais être la seule !

Dr : Surtout pas ! Personne n’est Alzheimer en politique : ni vous, ni surtout eux. Eux se souviennent parfaitement de ce qu’ils ont dit et fait, mais ils doivent, parfois, absolument l’oublier. Ils n’ont jamais eu tort et n’ont même jamais changé d’avis.

 

P : C’est grave, pour eux

Dr : Oui, mais le métier le veut. Ce qui est grave, c’est de s’auto-gestionner au point qu’on oublie ce qui s’est vraiment passé.

 

P : Bref, je ne suis pas si malade, ou je le suis bien moins qu’eux.

Dr : Non, ce n’est pas pareil. Eux sont victimes du syndrome d’Hubris, la célèbre « démesure » des grecs. Ce syndrome frappe surtout les grands chefs, entourés de leurs flatteurs. Tout leur semble possible : pas d’embouteillage, l’avion est pour eux et les attend, les discours sont écrits, les experts toujours disponibles. Leurs concurrents enragent et s’épuisent. Cette mégalomanie, « la folie des grandeurs », est partout, chez ceux qui ont ou croient avoir le pouvoir, pire chez ceux qui ne l’auront pas, pire encore chez ceux qui ne l’auront plus. A eux le narcissisme, l’arrogance, la méchanceté, parfois l’insensibilité et la violence, sans jamais d’empathie, avant la dépression !

 

P : Mais alors, je n’ai rien ?

Dr : Pas exactement. Vous êtes victime du miroir aux alouettes, de l’attrait d’un monde facile, même si vous savez que tel n’est pas du tout le cas.

 

P : Je serais Schizophrène ?

Dr : Non : autrement tout le monde le serait. Vous êtes à la fois crédule et naïve, parfois nerveuse et excessive, mais vous ne parvenez pas à comprendre que le monde a changé. Il est plus difficile, plus compliqué à faire évoluer, si on ne s’entend pas un peu plus ici.

 

P : Donc je suis victime de « giletjaunisme » ou d’ « aquabonisme » ?

Dr : Attention : que des mots grecs ! Je ris. En fait, nous vivons des phases de neurasthénie, d’abattement si vous voulez, puis de TEI.

 

P : TEI ?

Dr : Trouble Explosif Intermittent : ça, c’est du français !

 

P : Merci, mais je n’ai pas ça, moi !

Dr : On ne sait jamais : le TEI se manifeste quand on pense qu’on ne vous écoute plus, que toutes les voies d’apaisement ou de médiation sont épuisées. Puis, explosion !

 

P : J’ai peur de céder.

Dr : Avoir peur, c’est commencer à céder.