La France peut-elle faire mentir la science économique ?

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Nos dirigeants pensent qu’on peut ménager la chèvre et le chou pour repartir. Nous aurions ainsi plus de croissance en profitant de l’amélioration qui nous vient des Etats-Unis et de Chine, plus des efforts des voisins, mais en mesurant au plus juste nos efforts ici, en les répartissant au mieux entre nous et dans le temps. L’idée (officielle) est de ne pas trop déprimer la demande interne. Pas forcément héroïque ou courageux, finement politique dira-t-on. Mais est-ce économique ?

      ChèvreChou Non, dit la science économique. Ménager la chèvre et le chou ne donne rien de puissant : il faut purger les excès. Ce sont notamment les excès de crédit privé et public, donc les bulles et autres bonus, les salaires excessifs, avantages indus et autres rentes. L’économie ne rigole pas avec les ajustements qui suivent les crises, si on veut vraiment en sortir. Pour qu’une économie aille mieux et reparte, nous dit-elle, il lui faut plus de profit. Et pour qu’elle ait plus de profit, il faut que la monnaie faiblisse, que les salaires baissent par rapport à la valeur ajoutée et que les valeurs des entreprises chutent – donc que beaucoup fassent des pertes. Pas possible de passer au travers.

Baisser l’euro ? Mais vous n’y pensez pas ! Dommage car, en général, le premier prix qui baisse est celui de la monnaie – et c’est aussi le plus indolore (du moins au début). La dépréciation du change est en effet la façon la plus rapide de devenir plus compétitif, en même temps que les importateurs deviennent plus chers. Mais cette voie a été fermée à l’euro par les Etats-Unis qui ont fait (eux) baisser le dollar pour faire monter la monnaie chinoise, monnaie chinoise qui n’a pas voulu monter… donc c’est l’euro qui monte. Au pire moment pour nous.

Baisser les salaires ? Pas le choix donc, si l’euro ne baisse pas ! Le deuxième prix qui baisse est alors celui du travail, sous toutes ses formes (chômage, moindre indexation à l’inflation, allongement des durées de cotisation retraite, baisse des retraites, des indemnisations… et enfin, en dernière instance, baisse des salaires nominaux). Cette dévaluation salariale diminue mécaniquement la demande interne et pousse les entreprises à faire tous leurs efforts à l’export, avec des prix désormais plus bas. C’est bien ce qui s’est passé en Espagne et en Italie. C’est bien pourquoi les marchés financiers regardent ces deux pays avec des yeux doux. Ils y voient les baisses de la dépense publique et du déficit budgétaire. Ils y voient la reprise par l’export. Alors le Trésor espagnol peut réémettre de la dette publique, non plus à trois ou six mois, mais à 5, 10 et 15 ans. C’était impossible il y a quelques semaines. Il l’a fait la semaine passée.

Baisser les valeurs des entreprises ? Bien sûr aussi, pas le choix. Dans une économie qui plonge, les prix des entreprises chutent. Les voilà achetées par d’autres, plus solides ou étrangères. D’autres vont voir des banques ou des fonds spécialisés. Les fonds vont acheter certains actifs (stocks, immeubles…), les banques cherchent des paquets de créances, le tout avec les rabais qu’on imagine. Ces fonds seront nationaux et surtout étrangers, maintenant que la situation s’améliore. Et d’autres entreprises étrangères vont acheter des filiales, des marques, des réseaux.  La perte de valeur des uns fait les bonnes affaires des autres.

Alors ? Ailleurs il a donc la baisse des salaires, la baisse de la dépense publique, la baisse des prix des maisons et des entreprises. Et ici en France la bourse remonte, le prix des maisons regrimpe, les salaires repartent de l’avant. La France fait donc mentir l’économie ? Comment comprendre ? Car l’histoire continue. Les ajustements sur les retraites sont repoussés dans le temps. La baisse des impôts viendra, mais après une « pause » désormais située en 2015. Les coupes dans la dépense publique auront lieu, mais gérées au mieux et au plus serré. Donc la remontée des profits sera modeste et la baisse du chômage largement liée à un traitement social. En contrepartie, il n’y aurait pas de grandes tensions. NiNi : ni grèves violentes, ni croissance forte.

La question est donc double :

–         est-ce que les Français veulent parier contre l’économie ? Car cette trajectoire, au mieux, ne donne pas beaucoup de croissance et d’emploi ;

–         est-ce que l’économie va permettre cette trajectoire ? Car elle fait  avancer lentement la France dans un monde en révolution industrielle et servicielle, en concurrence toujours plus forte. Il ne s’agit pas d’être dur ou doux, austère ou compréhensif. Il s’agit de voir ce qui marche le mieux à terme. De l’expliquer. De le mettre en œuvre. Ne fait mentir la science économique qui veut.